31/10
2013
par Interview réalisée par des étudiants du MIAS de l’IESSID, catégorie sociale de la Haute Ecole Paul-Henri Spaak.

Christine Deconinck (AVCB) : quand la réforme de l’État sonne, les CPAS frissonnent

À l’heure de la 6ème réforme de l’Etat et d’une austérité budgétaire marquée, Christine Dekoninck, secrétaire de la section CPAS l’AVCB (Association de la ville et des communes de la Région de Bruxelles-Capitale) jusque fin 2013 nous éclaire sur le fonctionnement des CPAS en s’appuyant sur l’actualité brûlante, y compris les dernières modifications de loi en matière d’accès à l’aide sociale. On y retrouve une personnalité engagée dans un combat constant de veille du droit social comme garant de la dignité humaine. Ceci dit, elle s’inquiète quant à la pérennité des CPAS dans leur structure actuelle.Une interview donnée par notre interlocutrice avant de quitter ses fonctions fin 2013.

Alter Échos : À l’heure de la réforme de l’État, quel est le bilan de santé de la section CPAS ?

Christine Deconinck : La Section CPAS a pour mission de défendre les intérêts des CPAS. Elle intervient auprès des pouvoirs régionaux et fédéraux ; anime, conseille, informe des groupes de travail, des commissions et organise des journées d’études pour éclairer les CPAS sur toute modification de législation les touchant directement. Avec la 6ème réforme de l’Etat, il y a du pain sur la planche !

Alter Échos : Dans ce cadre-là, comment avez-vous contribué à l’élaboration de cette réforme, aux projets de loi ?

Christine Deconinck : Nous n’avons pas participé à l’élaboration des projets de loi sur lesquels repose la réforme de l’Etat. Nous pouvons même regretter ne pas avoir été consultés ni par le gouvernement ni par Maggie de Block (VLD), ministre fédérale responsable des CPAS. Et s’il est dans la mission de la Section d’examiner des propositions ou projets de loi ou d’arrêtés en lien avec les CPAS, il nous arrive malheureusement souvent de les découvrir à posteriori. Notre rôle est d’analyser les textes. Ensuite nous adressons nos remarques ou commentaires par courriers aux ministres ou aux parlementaires concernés pour attirer leur attention. Nous suggérons des modifications légales mais nous ne rédigeons pas de propositions de loi. Du point de vue du processus décisionnel, nous incarnons davantage un groupe de pression.

Alter Échos : Lorsque vous remettez un avis sur un projet de loi, quel est l’impact de l’AVCB ?

Christine Deconinck : Parfois surprenant. Dans le cas du nouveau code du logement à Bruxelles, nous avions participé au Conseil consultatif du logement, à la suite duquel nous avions rendu un avis à propos des logements des opérateurs publics. Mal nous en a pris car je pense que cet avis au a été mal interprété par le ministre du logement Doulkeridis (Ecolo), et les opérateurs publics se sont vus imposer dans le texte une Commission indépendante d’attribution de ces logements publics : une catastrophe qui signifiait le retrait du pouvoir de décision des CPAS et des Communes d’attribuer leurs logements en ordre utile. Nous avons réagi et nous sommes parvenus – sans avoir pu faire supprimer l’article dans l’ordonnance – à limiter les dégâts. Certains éléments de notre avis écrit ont été repris dans l’avis du Conseil Consultatif. Nous pouvons estimer que notre intervention a eu un impact là où était apparue une volonté du cabinet Doulkeridis de contrôler les communes et les CPAS par rapport à leurs logements publics.

Alter Échos : Lorsque vous remettez un avis sur un projet de loi, quel est l’impact de l’AVCB ?

Christine Deconinck : Nous pouvons tenter un recours en justice. Nous l’avons fait avec le CPAS de Bruxelles dans le cadre de la problématique de la saturation du réseau des demandeurs d’asile. Pendant 3 ans, les CPAS bruxellois ont été submergés par les demandeurs d’asile qui se voyaient refuser une place d’accueil par Fedasil pour cause de saturation. Durant deux hivers consécutifs, la Ville de Bruxelles et d’autres communes ont dû prendre en charge en accueil hivernal des centaines de demandeurs d’asile qui étaient à la rue. Nous avons donc introduit un recours au tribunal civil pour contraindre Fedasil et l’Etat fédéral à prendre en charge ce public. L’AVCB y a participé en référé avec plusieurs CPAS qui se sont unis à la cause. Comme il n’y avait pas de préjudice direct nous concernant, nous avons été déboutés. Nous sommes à la cause en appel et l’affaire est en cours.

Alter Échos : Pouvez-vous donner des exemples de droits que vous avez eu à défendre récemment?

Christine Deconinck : Oui, le respect du secret professionnel ! Il y a quelques mois, sur mission du Secrétaire d’état John Crombez (SPA), le Collège des Procureurs Généraux a mis en place un groupe de travail pour rédiger une circulaire dans le cadre de la lutte contre les domiciles fictifs et la fraude aux allocations sociales et à l’aide sociale. Nous avons lutté avec nos collègues wallons contre la contrainte d’appliquer cette circulaire qui menaçait la garantie du secret professionnel. Ensemble, nous avons pu limiter les dégâts ; dorénavant les CPAS ne sont pas contraints par cette circulaire. Cela signifie que nous ne sommes pas tenus de rompre le secret professionnel car les demandes pourront être adressées au SPP-IS.

Alter Échos : En ce qui concerne la réforme de l’Etat, les CPAS se voient attribuer de nouvelles compétences. Quelles en seront les conséquences en termes d’impacts financiers et autres ?

Christine Deconinck : Cette 6ème réforme aura un impact direct, indirect, et insoupçonné sur les CPAS. En termes d’impact direct : 2 grosses matières sont transférées de l’Etat fédéral vers les régions et les Communautés. La première, transférée vers les Régions, concerne la réglementation en matière de mises au travail, article 60 et 61, par les CPAS. La seconde est celle liée aux maisons de repos et de soins. Pour cette matière, à l’avenir tout sera centralisé au niveau des Communautés (Cocom à Bruxelles) alors qu’auparavant, le financement et la règlementation des normes dépendaient de l’Inami. La situation est donc très préoccupante pour les finances locales des CPAS Bruxellois. Nous nous demandons dans quelle mesure nous serons à même de faire face au vieillissement de la population.

Quant aux effets indirects, je pense à la dégressivité des allocations de chômage et à l’augmentation des sanctions, ce qui risque de pousser ce public en quête d’une aide sociale vers la porte des CPAS.

De manière insoupçonnée, je pense aux allocations familiales. A Bruxelles, c’est le bicommunautaire (Cocom) qui devrait prendre cela en charge. En sachant que la Région de Bruxelles-Capitale a des moyens financiers limités. Bien que le montant des allocations familiales de base pour tout un chacun ne devrait pas diminuer, nous sommes inquiets quant au maintien du principe des allocations familiales garanties pour certaines catégories de public.

Alter Échos : Le rapport d’activité de la section CPAS 2012 de l’AVCB relate « qu’il y a eu un glissement de la charge vers les collectivités locales, ce qui donne à penser que la solidarité entre tous les citoyens sur le plan fédéral se désagrège pour ne plus reposer que sur les épaules des citoyens communaux ». Comment envisagez-vous l’avenir ?

Christine Deconinck : Sombre. Je ne vois pas les choses de manière optimiste à long terme. Depuis des années, nous assistons à un glissement des charges de l’Etat fédéral vers le régional et le local. Au-delà des allocations de chômage, cela concerne aussi la politique en matière d’asile. Les CPAS interviennent lorsque les demandeurs ne sont pas pris en charge par l’Etat fédéral. Certaines communes affirment que le CPAS leur coûte déjà trop cher. Ce n’est pas seulement le nombre de personnes bénéficiant du revenu d’intégration ou de l’équivalent au revenu d’intégration qui a augmenté mais aussi les aides sociales.

Prenez l’exemple du Fonds « mazout » : Qui intervient quand une personne est sans chauffage durant tout l’hiver ? Ce n’est pas seulement l’Etat fédéral (sur base d’une intervention minimale) mais bien le CPAS qui doit intervenir au-delà, parfois sur fonds propres pour remplir la cuve. La pauvreté augmente ; elle touche même des publics qui travaillent et qui n’ont pas assez de revenus pour faire face aux coûts du logement, de l’énergie, des soins de santé, etc. Les CPAS sont la roue de secours et essaient, tant bien que mal, d’aider avec pour conséquence l’intervention financière de la collectivité locale. Comme la solidarité est réduite à cette échelle, à terme, cette situation n’est pas viable. A moins d’avoir des financements ou de vivre dans des communes qui peuvent assumer ces coûts.

Alter Échos : Pourrait-on envisager de fusionner les 19 CPAS pour fédérer les moyens ?

Christine Deconinck : Alors, d’une part il n’y a pas de solidarité intercommunale et d’autre part, je ne pense pas que la fusion améliorerait les choses pour le citoyen sauf à considérer qu’il s’agirait dans cette fusion de viser les « économies d’échelle ».

Dans son action locale et territoriale, le CPAS est proche du citoyen, il peut répondre à ses besoins. En fusionnant les communes, et par-delà les CPAS (et pour cela, il faut modifier une loi fédérale !), on vise la création d’un « gros CPAS » avec des antennes. Nous serons confrontés à une grosse structure qui va devenir, à mon sens, très bureaucratique. Je crains que l’on réduise le champ d’action du CPAS à l’octroi d’une allocation sociale. Tout le travail d’intégration, d’activation et d’insertion serait gommé. Dans cette logique, je crains que les CPAS tels qu’ils existent aujourd’hui disparaissent du paysage. S’ils devaient être réduits à une caisse d’allocations sociales, leur existence en qualité de service social de proximité n’aurait plus de sens. Cela induirait une réorientation de l’accompagnement social vers le monde associatif et caritatif et donc vers le privé.

Alter Échos : Quelles sont les synergies existantes avec le monde associatif aujourd’hui ?

Christine Deconinck : Les exemples sont nombreux.

D’une part, en matière d’asile, les CPAS sont partenaires au travers des initiatives locales d’accueil (ILAs) et sont amenés à collaborer avec d’autres partenaires privés.

Dans le cadre de l’aide alimentaire, les CPAS travaillent avec des associations pour distribuer des colis alimentaires. Nous collaborons avec la FDSS (Fédération des services sociaux) afin d’organiser des rencontres sur la mise en oeuvre d’épiceries sociales. Ainsi, les représentants des CPAS ont la possibilité d’entendre d’autres expériences (celle des Petits-Riens par exemple) ou le schéma financier d’un tel service au public (via l’agence-conseil Crédal).

Par ailleurs dans le cadre de la création d’un « référentiel étudiant », nous rencontrons les services sociaux de l’enseignement supérieur.

Enfin, le partenariat est important et le travail en réseau existe dans toutes les communes. Il suffit de faire un tour dans les CPAS bruxellois pour se rendre compte qu’ils mènent bien d’autres missions que d’octroyer le RIS. Aujourd’hui, dans une majorité de communes bruxelloises, il existe ce que l’on appelle des coordinations sociales, qui permettent justement ce travail de réseau.

Nous sommes donc amenés à coopérer de manière étroite avec le monde associatif. Ces collaborations entre le public et le privé sont précieuses et complémentaires. Mais il existe énormément d’associations qui parfois se marchent sur les pieds. Une certaine régulation est nécessaire. Nous devons rester vigilants et défendre le service public car il est le seul à garantir une équité de traitement et le respect des convictions personnelles, philosophiques, religieuses. LA question est : est-ce que les deux secteurs vont se rejoindre ?

Alter Échos : Comment voyez-vous la structure CPAS dans le paysage socio-politique ?

Christine Deconinck : Je pense que le CPAS est un appareil « normatif » d’Etat qui maintient l’ordre social. Au-delà de cette mission idéologique, les CPAS doivent continuer à exister comme pierre angulaire de la lutte contre la pauvreté car cette institution a pour première vocation de venir en aide aux populations en situation de pauvreté avec un ensemble de programmes d’accompagnement, d’aide et de financement. Les CPAS doivent donc être financés correctement pour mener à bien leurs missions et répondre ainsi aux obligations d’une société qui doit permettre à tout un chacun, en difficulté, de vivre dans la dignité.

Alter Échos : Le mot de la fin ?

Christine Deconinck : Plus que jamais, nous devons nous mettre d’accord sur une politique sociale consentie. Une enquête a été menée à la demande des Ministres Huytebroeck (Ecolo) et Grouwels (CD&V) au sein de l’ensemble des CPAS de Bruxelles. Il en ressort de bonnes choses avec des perspectives en termes de développement d’outils de travail et de collaboration. Je vous renvoie vers le rapport qui sera publié prochainement sur le site de l’AVCB.

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