16/09
2016
par Edgar Szoc et Thomas Lemaigre

L’innovation sociale entre radicalité et parcs à bobos

Anciens collaborateurs d’Alter Échos, nous sommes chargés d’un cours sur les politiques publiques en 1re MIAS à l’IESSID, la catégorie sociale de la Haute École Paul-Henri Spaak à Bruxelles. Le cursus est à horaire décalé et les étudiants sont soit de futurs professionnels du social, soit des travailleurs sociaux en reprise d’études, ces derniers étant majoritaires. Chaque année, Alter Échos reprend les articles des étudiants. Cette fois, c’est l’innovation sociale qui a constitué le cœur de nos travaux.

L’innovation sociale est un concept dans l’air, produit des incertitudes qui traversent le social. A fortiori auprès des étudiants des masters en ingénierie et action sociales (MIAS) organisés un peu partout en Wallonie et à Bruxelles. A fortiori encore dans un cours sur les «évolutions et enjeux des politiques publiques» qui insiste notamment sur les rapports particuliers et mouvants entre État et acteurs associatifs et locaux dans les politiques sociales belges.

C’est donc le thème de l’innovation sociale que la classe de cette année a suggéré pour le travail qui sert d’évaluation au cours. Et chaque groupe de deux ou trois étudiants de partir à la recherche de «quelque chose» de plus ou moins récent à explorer, pour autant qu’on puisse présenter cela comme une innovation sociale. Peu cadré sur la définition de l’innovation et sur l’orientation des articles (la consigne est surtout de voir comment se joue le rapport innovation-État), le résultat est plus qu’instructif, même si pas spécialement réjouissant.

On est d’abord surpris par la diversité des dynamiques d’innovation relevées, allant des solutions désormais presque banales comme le forfait en maison médicale ou l’entreprise d’insertion, à d’autres plus balbutiantes comme le logement intergénérationnel ou l’hospitalisation à domicile. Ce qui frappe, c’est le décalage entre des innovations qui se conçoivent et se positionnent en dehors de l’action publique ou à sa marge (p. ex. les SEL, services d’échanges locaux) ou qui, à l’opposé, sont initiées d’en haut par l’État (comme la validation des compétences ou le Housing First).

On pourrait craindre que nos futurs maîtres ingénieurs sociaux s’emparent de l’innovation sociale comme d’un mot-valise particulièrement bienvenu pour légitimer leur profession encore émergente. Il n’en est rien en fait, et leur premier réflexe a le plus souvent été d’interroger le caractère social des réalités qu’ils rencontraient. Tous les publics réellement visés sont-ils touchés? Où sont cachées les barrières à l’accès? Quelles inégalités les dynamiques innovantes risquent-elles de reproduire en leur sein? Cet examen n’épargne pas grand monde: nombre de dynamiques sont aux prises avec le risque de devenir des niches pour les catégories socioculturelles moyennes supérieures… Le social de l’innovation est tout sauf une évidence, et ces textes invitent à en approfondir l’engagement, à politiser plus avant l’élan innovateur.

La tension qui apparaît souvent est celle du principe de réalité dans un univers encore très social-démocrate: comment rester fidèle à ses valeurs en rupture, à la fois en collaborant avec les pouvoirs publics et en collant aux demandes et représentations individuelles des publics populaires au nom de qui l’on agit?

La lumière que l’exercice jette sur les politiques publiques est également très crue. Il y a deux types d’innovations sociales dans lesquelles l’État (fédéral en particulier, mais pas seulement) est aujourd’hui le plus prompt à investir: celles qui répondent aux conséquences des problématiques sociales plutôt qu’à leurs causes (salles de shoot p.ex.) et celles qui offrent des perspectives d’économies budgétaires (hospitalisation à domicile, logement intergénérationnel, etc.). Bref, une autre manière de mettre en évidence le tournant libéral-conservateur dans lequel nous sommes embarqués…

Que soient ici félicités les étudiants qui se sont jetés à l’eau, avec enthousiasme et non sans appréhensions, et que soient très vivement remerciées les personnes qui leur ont offert sans compter leur temps et leurs analyses, elles ne seront pas déçues par le résultat.

Bonne lecture!

 

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