15/10
2015
par Françoise Chauvin et Olivier Bailly

Médicaments et soins de santé, c’est aussi pour les endettés?

C’est un Bruno Lefébure remonté que nous rencontrons fin août au siège du Centre hospitalier interrégional Edith Cavell (Chirec). Le directeur général administratif et financier du groupe hospitalier est offensif: «Contrairement à ce qu’on peut entendre, au Chirec on prend tous les patients. Nous avons plus ou moins 23% de personnes à statut ‘protégé’.»

Le «on» qui fait entendre un autre son de cloche, ce sont les Mutualités chrétiennes. Chaque année, elles publient un baromètre de la facture hospitalière et, chaque année, le Chirec occupe la tête des «hôpitaux ayant les suppléments d’honoraires les plus élevés (en pourcentage) en chambre individuelle, hospitalisation classique». Et 2014 n’a pas dérogé à la règle avec des suppléments d’honoraires moyens à 180% pour le Chirec. Du coup, qui peut se payer cette médecine de luxe? «Le premier conseil à donner à une personne en situation administrative pas claire, c’est de le signaler à l’entrée de l’hôpital, explique Bruno Lefébure. Si les gens sont en ordre, on ne demande pas d’acompte.» Et s’ils ne le sont pas? «On les aide administrativement». Avec report des soins, s’il n’y a pas urgence. «Après cela, il y a ce qui est prévu et ce qui n’est pas prévu. Ce qui est fortement prévisible et pour tout le monde, c’est le choix de la chambre qui donne un signal pour des suppléments honoraires. Si vous êtes en chambre à deux ou quatre lits, il n’y aura pas de suppléments.» Cette mesure est une décision du gouvernement précédent. Du coup, la qualité des soins est identique pour tout le monde. Même salle, même monitoring, etc. Mais les patients paient leurs exigences (médecin choisi, chambre seule, etc.)

Les statistiques présentées par les Mutualités chrétiennes concernent les suppléments facturés. Et selon Bruno Lefébure, la mutualité a beau jeu de pointer ces suppléments: «Cette mutuelle est la première à compter des patients riches et de classes moyennes. Elle a le plus faible taux de patients protégés et fait des statistiques sur ses patients qui fréquentent les hôpitaux. Elle leur vend des assurances complémentaires et puis se plaint que ces patients utilisent ces assurances chez moi!» Les Mutualités chrétiennes et le Chirec posent malgré tout un constat commun: une facture problématique, pouvant à elle seule conduire au surendettement, provient surtout des hospitalisations de longue durée. «Cinquante pour cent des patients paient avec leur ticket modérateur une facture inférieure à 100 euros. Et 90%, moins de 500 euros, ce qui n’est déjà pas anodin pour une bonne partie de la population. Mais j’ai eu des cas entre 2.900 et 3.000 euros. Avec 200 jours en hôpital, on arrive à ces montants.» Une information complète et une prise en charge rapide par les assistants sociaux seraient un début de solution.

Le prix de la pilule

Le Chirec redégaine et pointe aussi le médecin-conseil, qui vérifie que les conditions pour les remboursements en matière de soins de santé sont bien remplies. «Le médecin-conseil est un intervenant des mutuelles. Ces dernières ne peuvent pas à la fois défendre les patients et être l’organe qui refuse de rembourser certaines choses, parce que l’INAMI ne l’a pas encore autorisé.» Et de signaler l’impossibilité d’aller en appel. Faux, rétorque Alex Peltier, de la direction médicale des Mutualités chrétiennes: toute décision du médecin-conseil peut être contestée devant… le tribunal du travail. Soit une démarche assez fastidieuse. Tout comme le chemin pour fixer un prix de médicament.

Une firme qui veut introduire un nouveau médicament remet deux dossiers, un pour le ministère de l’Économie et un autre aux Affaires sociales. Le prix est décidé par le ministère de l’Économie sur la base d’une évaluation (scientifique et comparative) de la Commission de remboursement des médicaments (Inami). Une proposition (souvent à la baisse) est alors faite à la firme et la décision finale est prise par le ministre compétent. Impossible de développer une politique de santé en refusant de rembourser certains médicaments, comme les antidépresseurs par exemple? «On visera plutôt à sensibiliser les prescripteurs, précise Alex Peltier. C’est plus difficile, mais plus qualitatif.»

«La difficulté dans la fixation du prix est que le Ministère ne connaît pas le prix de production d’usine ni le détail des coûts de recherche & développement du médicament», explique Chris van Haecht, expert médical des Mutualités. De pays en pays, le prix va changer. Et pour les médicaments rares et chers, la firme calcule son prix sur les non-dépenses potentielles que permet son produit (éviter une transplantation de reins par exemple). Une procédure de révision permet tout de même de réduire les prix au bout de quelques années. Enfin, pour les médicaments nouveaux (et vitaux) sur le marché, une procédure «Besoin médical non rencontré» (Unmet Medical Need) permet depuis fin 2014 d’accélérer le remboursement de ces frais exceptionnels.

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Françoise et son mari ont tous deux rencontré de graves problèmes de santé qui ont eu pour répercussion des difficultés financières. Outre le fait que la société ne tient pas compte de ces moments de fragilité, la question de l’accessibilité financière des soins de santé et de certains traitements très onéreux est soulevée ici. Et au final, deux questions qui sous-tendent cet article: y a-t-il une médecine à deux vitesses? Qui fixe (et comment) le prix de remboursement des médicaments?

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