Jeunes et médias, une relation complexe
«Délinquance», «vols», «incivilités» sont des mots que l’on retrouve dans certains médias lorsqu’ils évoquent les jeunes de quartiers populaires. Mélina Petitjean, étudiante à l’Université Saint-Louis, revient sur la rencontre entre jeunes et journalistes organisée par Alter à la cité modèle.
Entre jeunes et médias, l’incompréhension règne. Les jeunes ont souvent l’impression qu’ils n’apparaissent pas beaucoup dans les médias. En 2015, une étude de l’Association des journalistes professionnels (AJP) a confirmé qu’il ne s’agissait pas que d’une impression.
Les jeunes entre 3 et 30 ans sont présents dans moins d’un quart des articles de presse analysés (24,07%) et, sans les sportifs, on tombe à 20%. Les 13 à 18 ans (68,06%) sont les plus nombreux à être connotés négativement dans les médias. Les jeunes sont peu nombreux à lire régulièrement la presse, et ceux qui le font se concentrent plutôt sur les faits divers.
Entre jeunes et médias, la relation est difficile. L’Agence Alter en a fait l’expérience lors d’un débat organisé à la cité modèle, dans le cadre de son projet BruXitizen. D’un côté, les journalistes, de l’autre, les jeunes de quartiers, bien décidés à faire entendre leur voix. Revendications, explications… les jeunes étaient en demande de réponses: «Pourquoi ne parle-t-on pas de ‘nous’?», «Pourquoi ‘jeunes de cité’ est-il forcément associé à délinquance?»
Les médias, c’est quoi?
Comme l’a souligné Zoé, chargée de communication de City-Zen asbl, une association créée par des jeunes de la cité modèle, il ne faut pas oublier que les médias sont une entreprise marchande, à but lucratif. Et pas de secret, les faits divers, ça marche!
«Personnellement, j’ai choisi de ne plus faire attention à la presse quotidienne car celle-ci ne donne qu’un angle, affirme Zoé. Ce qui est difficile, c’est que tout le monde ne possède pas les armes pour interpréter correctement tout ce qu’il se passe. Peut-être faudrait-il des cours d’éducation civique en secondaire… Cependant, je soutiens les jeunes avec lesquels je travaille, qui ne comprennent pas pourquoi, dans les médias, leurs erreurs surpassent leurs progrès. Je tente de leur expliquer.»
Ces jeunes ressentent un sentiment d’injustice. Pour Julien Crépin, responsable environnement à la DH, «il n’y a pas de volonté de stigmatiser, même si je comprends que les jeunes peuvent le ressentir. Pour des raisons commerciales, on vend davantage le ‘négatif’, le sensationnel, mais on ne fait pas que ça! De plus, la situation du journaliste n’est pas évidente à l’heure actuelle, nous sommes constamment dans une course à l’info, ce qui perturbe parfois le ‘bon travail’.»
Et les jeunes?
Les jeunes de quartiers populaires affirment leur mécontentement, mais sont-ils prêts à créer une réelle relation avec le journaliste? «Il y a une sorte de fierté à faire partie de cette communauté de quartier, de zone et de créer cette ambiance d’insécurité», relate Zoé. Les jeunes se cherchent et sont parfois dans un esprit de contradiction, pour certains, en collant à cette image que la presse transmet d’eux. «Les médias ont un rôle influent, mais ils ne mentent pas pour autant», confirme Zoé.
Un compromis se crée
Le journaliste de la DH parle de la difficulté de contact avec les jeunes, souligne que «les jeunes ont des attentes envers les journalistes mais, en cas de rencontre, ils se ferment. Quelque part, ils s’autosabordent».
Une relation est-elle possible? Elle n’est en tout cas pas impossible… Jean-Pierre Borloo, de l’Association des journalistes professionnels, le pense:
«Je partage les critiques des jeunes mais il faut qu’ils se bougent eux aussi. Quant au journaliste, il a souvent perdu le contact avec le terrain alors qu’il doit entretenir le contact avec les jeunes.»
Les jeunes se sentent constamment ‘attaqués’ dans les médias et sont en demande de changement. Le journaliste, quant à lui, subit les dérives de la profession, qui impacte clairement le choix des sujets d’articles. «La presse crée des stéréotypes mais ce n’est pas voulu. C’est un phénomène qui se crée parce que les médias sont dans un système qui fait la course à l’audience, il faut que le public soit intéressé, le média doit survivre. Un média, c’est comme un chien qui est en train de mourir et, en ce moment, il aboie fortement», analyse Nikita Imambajev, rédacteur en chef d’Alohanews, un site d’information alternative qui a vu le jour en août 2012. Une initiative de jeunes étudiants franco-belges en communication qui ont décidé de traiter l’information d’une manière différente.
Diversité à la RTBF ?
La RTBF a mis en place un projet « diversité » en son sein. Émilie Tonnemans, étudiante à l’ISFSC, a voulu en savoir plus.
La diversité est une question importante. À tel point que la RTBF dispose d’un projet consacré à celle-ci. Son but est « de promouvoir la diversité sur le contenu mais aussi en interne, la RTBF tend à ressembler toujours plus à la société dans laquelle elle évolue », explique Safia Kessas, journaliste et productrice de « Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) » et responsable du projet.
Un baromètre interne (reproduit chaque année) a été mis en place pour évaluer les programmes en matière de diversité. Des formations sont organisées avec le personnel concernant la « diversité inclusive ». Un dialogue avec le monde associatif a également été entamé.
La RTBF n’a pas souhaité imposer de quotas, jugeant que cela empiéterait sur la liberté éditoriale et qu’il existait d’autres moyens de parvenir aux objectifs. « Le but est de changer les mentalités. La plus grande difficulté est de faire comprendre que la diversité n’est pas un projet en soi mais qu’elle doit faire partie intégrante des contenus de façon naturelle », explique Safia Kessas.
La RTBF souhaite engendrer une prise de conscience collective. Selon la journaliste, les travailleurs sont d’ailleurs très conscients du problème. « Le projet a été globalement très bien accueilli par les employés de la chaîne. »
La journaliste confie qu’elle observe déjà « une prise de conscience en interne » mais, le projet étant en place depuis seulement un an, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions ou constater des effets éventuels.
Illustration, étudiants de l’atelier BD- Bruxitizen 2015 en collaboration avec Lucie Castel