Qu’est-ce que le forfait en maison médicale ?
Pour comprendre le financement forfaitaire en maison médicale, nous devons tout d’abord faire un voyage dans le temps. D’après Pierre Drielsma, médecin généraliste en maison médicale et grand défenseur du système forfaitaire, « Ce système trouve son origine depuis que l’homme veut rétablir un système égalitaire dans un groupe social ! », nous pouvons donc remonter au période du passage de la société paléolithique à la société néolithique et traverser le temps. Innovation sociale ? Tout est relatif. En même temps, si on sait bien désormais comment mettre en œuvre la gratuité de l’accès aux soins de santé primaire, trop rares restent ceux qui ont pris le taureau par les cornes.
Les maisons médicales, à contre-courant
En mai 68, c’est l’époque de grands bouleversements politique, idéologiques et philosophiques. Deux mondes se confrontent, le monde « libéral » avec ces lois du marché qui produisent l’inégalité sociale (comme un pommier des pommes) et le monde « des rouges (socialistes et communistes, ndlr) et noirs (anarchistes, ndlr) » où le rêve égalitaire et un certain « romantisme » sont le moteur d’action. Dans cette ébullition de confrontations idéologiques naissent les premiers groupes d’étudiants qui vont réfléchir sur un nouveau système de soins de santé, où le patient est l’acteur, au même titre que le soignant, de sa santé. De ces longues réflexions naissent les premières maisons médicales.
Les maisons médicales sont des institutions privées d’utilité publique dont les buts principaux sont d’avoir une médecine plus égalitaire où la participation des usagers est primordiale, d’être plus proche des personnes démunies et d’avoir une vision globale de la santé prise sous tous ses aspects ; notamment les conditions de vie.
A l’inverse, dans le système belge de santé de première ligne, le financement de la médecine a été conçu sur un modèle libéral, c’est-à-dire une rémunération à la prestation (gain en fonction de la quantité de consultations) où le curatif a la place principale et qui n’intègre pas la prévention ni le psychosocial. Ce système est le plus répandu actuellement dans notre pays.
Origine
Les premières crises économiques (1973 et 1981) se font ressentir et avec elles le rêve et le romantisme des égalités sociales vont perdre de leurs forces. Les maisons médicales n’ont pas échappé à cette nouvelle ère et ont dû se restructurer pour pouvoir conserver leur projet. Comme en témoigne Pierre Drielsma, elles sont ainsi devenues plus des « unités de soins » et ont moins marqué l’objectif d’être à l’avant-garde des changements sociétaux : « Avant elles portaient les deux : les soins n’étaient pas plus importants que de changer la société. Elles ont dû basculer d’une forme de romantisme vers plus de pragmatisme.»
C’est après la deuxième grève de médecins qu’est arrivé le financement forfaitaire en maison médicale, qui a permis à celles-ci de survivre dans ce système économique qui donne de moins en moins de place aux plus démunis.
Le chemin du nouveau mode forfaitaire en maison médicale fut long et dur. Autour de la table des négociations qui a duré 2 ans (1980-1982), se trouvent l’Inami, la Fédération des Maisons Médicales, les mutualités et certains syndicats. S’y est débattu, le budget et les objectifs. Cette ouverture à la discussion des pouvoirs publics est due au soutien des maisons médicales au gouvernement lors du mouvement de grève. En réponse à cette initiative, l’Inami a accepté de négocier le passage au forfait. En 1982, le règlement du forfait est voté et une partie des maisons médicale s’y inscrivent (dans les autres, les patients et les mutuelles continuent à supporter le coût des soins « à l’acte »).
En pratique, le forfait est un montant calculé à la capitation (c’est-à-dire au nombre de personnes inscrites). Le forfait se traduit par la signature d’un contrat entre la MM, le patient et sa mutualité. Les mutuelles versent à la maison médicale une somme fixe qui comprend les prestations du médecin généraliste, du kinésithérapeute et de l’infirmière. Cette somme est calculée sur la base d’une moyenne de dépenses annuelles par personne. Certaines variables sont prises en compte (âge, etc.). Pierre Drielsma illustre ce principe avec l’exemple d’une personne âgée diabétique dont le forfait sera plus important que pour un jeune en bonne santé.
D’emblée se pose une question de taille critique : le risque qu’avec ce système forfaitaire, les MM aient pour ambition d’inscrire trop de patients, ce qui risquerait de faire perdre cette notion de proximité qu’elles défendent. Néanmoins, c’est en augmentant leur quantité de patients que les MM verraient leur budget s’accroître et leur permettraient ainsi d’augmenter la gamme de services proposés à ceux-ci en engageant des spécialités supplémentaires telles qu’une diététicienne, un psychologue ou un travailleur social.
Accessibilité des soins, qui dit mieux ?
Il est important de s’attarder sur les avantages que ce système représente pour les patients. Premièrement, il est facile de s’inscrire, et la maison médicale propose des soins de santé de qualité. L’argent n’est plus un obstacle pour y accéder.
Deuxièmement, le forfait fidélise le patient à sa MM, car il ne peut plus voir un médecin généraliste en dehors de sa MM sous peine de ne pas être remboursé par sa mutualité. Ce dernier point permet également de diminuer le « shopping médical », et la perte d’informations médicales concernant un patient. Soulignons que le patient peut à n’importe quel moment mettre fin[1] à son contrat avec la MM.
Le système ne pourrait fonctionner sans offrir aux professionnels des avantages par rapport au système libéral. Le forfait n’a pas changé le statut du médecin généraliste ni celui du kinésithérapeute, salariés comme indépendants. Cependant, le forfait a apporté une stabilité dans leur salaire, qui est fixe et assuré, en particulier en début de carrière, ainsi que dans l’horaire de travail qui est stable et régulier. En cas de congé ou de maladie, le médecin généraliste peut être remplacé par un confrère grâce au dossier informatisé unique et au secret professionnel partagé. Les travailleurs indépendants ne peuvent pas travailler en dehors du système forfaitaire (ils doivent choisir dans quel système consulter, à l’acte où au forfait). Dans les maisons médicales au forfait, les travailleurs ont une autre façon de penser et de travailler (travail en équipe pluridisciplinaire, prévention, travail en santé communautaire…)
Essor et imperfections
Le processus de consultation en MM se déroule comme suit : le patient consulte (sur rendez-vous) son médecin généraliste (service de première ligne) qui va dresser un diagnostic, et c’est sur la base de celui-ci qu’il pourra si nécessaire être orienté vers un spécialiste (service de seconde ligne[2]). Ce système permet donc de désencombrer la deuxième ligne qui n’est pas en surdemande par des patients qui n’en ont pas réellement besoin. On constate également des économies au niveau des laboratoires, car les demandes d’analyses sont mieux évaluées. Enfin, la combinaison suivi de long terme et prévention permet tout simplement d’éviter nombre de soins onéreux.
Le nombre de maisons médicales a ainsi considérablement augmenté ces dernières années. On constate aussi que la plupart des maisons médicales sont passées au forfait. Ceci démontre que le système forfaitaire est fortement apprécié aussi bien par les pouvoirs publics (limitation des dépenses de la Sécu) que par les professionnels et usagers.
Mais comme tout système, le forfait n’est pas parfait. D’une part, il comporte des risques de dérives, de «bureaucratisation», mais d’autre part, le modèle libéral n’y échappe pas non plus. On retient donc surtout de nombreux succès dans la qualité de la prise en charge des patients, du travail de ces équipes en pluridisciplinarité. Il est important que ces structures continuent à s’améliorer et à s’étendre pour favoriser une meilleure mixité sociale.
[1] Il faut attendre un mois calendrier, ce qui est le système de résiliation le plus rapide en Europe
[2] Il faut noter que le patient conserve un accès libre à la 2eligne, mais la « gratuité » du favorise le passage préalable en 1ère ligne.