Étudiant et sans papiers: un parcours d’obstacles?
Début septembre, Eduard a entamé sa rhéto. Il se préoccupe déjà de la suite: il souhaite devenir médecin et s’inscrire à l’université, mais ce qui semble une évidence ne l’est pas tant que ça, vu qu’il est sans papiers. Arrivés en 2009 d’Arménie, les parents d’Eduard ont introduit une demande d’asile, rejetée en 2012. Depuis, ils sont en recours, mais en séjour illégal sur le territoire. Pour Hasmik, la mère d’Eduard, c’est une inquiétude permanente. Qu’en est-il de leurs espoirs?
Depuis son arrivée en Belgique en 2009, la principale préoccupation d’Hasmik est de permettre à ses enfants de suivre une scolarité normale en Belgique. Sa famille, originaire d’Arménie, a été accueillie au centre Fedasil de Rixensart, il y a sept ans. Cette question a été d’emblée prise en charge par Henryk Chojnacki, en charge de la scolarisation des enfants accueillis au centre: «Ma préoccupation est d’inscrire le plus rapidement possible les enfants migrants à l’école car c’est le meilleur moyen d’intégration. Certains centres Fedasil organisent des classes-passerelles (ou DASPA[1]) en interne. Pour ma part, je pense que c’est mieux pour les enfants de fréquenter une école à l’extérieur pour apprendre le français et vivre le plus possible comme les autres enfants. Les enfants d’Hasmik, Eduard et sa sœur Susanna, ont donc été inscrits à l’école communale de Rixensart qui dispose d’une telle classe-passerelle. J’insiste énormément auprès des parents pour qu’ils amènent leurs enfants à l’école, même s’ils ont peur de se séparer d’eux.» Eduard se souvient de ses premiers pas dans cette école: «L’institutrice nous faisait chanter, répéter des petites phrases, je me suis fait des amis et même si je ne parlais pas encore le français, c’est comme si je les comprenais. J’ai suivi un élan naturel.»
Une chaîne de solidarité
Après quelques mois à l’école de Rixensart, Eduard et sa sœur ont quitté le centre pour s’installer dans une maison à Ittre. Pour leur maman, c’était le début d’une nouvelle vie. Les enfants ont intégré l’école primaire. Mais en septembre, toute la famille déménage à Bruxelles. Hasmik raconte: «J’avais contacté l’école la plus proche de l’appartement que nous avions trouvé, mais c’était en début d’année et on me disait qu’il n’y avait plus de places. J’ai demandé à la directrice de l’école d’Ittre, que nous quittions, d’intervenir. Elle a appelé Mme Pardonge, alors directrice de l’école communale Claire Joie, qui a accepté mes enfants.»
Cette dernière a réorganisé ses classes pour accueillir Eduard et Susanna. Elle s’est démenée pour trouver des fonds pour couvrir les frais scolaires des enfants dans cette situation. Car si la loi sur l’obligation scolaire est valable pour les mineurs qui immigrent avec leurs parents (voir encadré), le financement des écoliers sans papiers n’est pas prévu. Elle a tout fait pour qu’ils soient traités à l’égal des autres écoliers de leur classe. Une fois son CEB obtenu avec des résultats qui forcent le respect, Eduard a été «confié» par Mme Pardonge à Caroline Pisonier, préfète des études de l’Athénée royal Jean Absil. Eduard y a été accueilli, suivi et y construit patiemment son rêve: devenir médecin.
Josianne Pardonge a également permis à Hasmik d’effectuer des surveillances afin d’assurer à la famille quelques rentrées financières. À l’époque, la maman d’Eduard est inscrite en cours du soir pour devenir assistante sociale (alors qu’elle est titulaire d’un master en philologie arménienne dont il lui est impossible d’obtenir l’équivalence en Belgique). Des efforts qui seront réduits à néant lorsque la décision de l’Office des étrangers tombe: la demande d’asile de la famille n’est pas acceptée et un ordre de quitter le territoire lui est adressé. Ayant informé la haute école où elle suit sa formation, Hasmik n’est pas admise à passer ses examens.
Dans les écoles primaire et secondaire des enfants, on se mobilise, on signe des pétitions qui seront jointes aux recours pour raisons humanitaires introduits par l’avocate de la famille. Depuis, la petite dernière, née en Belgique, est entrée à l’école maternelle en avril dernier.
Et la suite?
Les années passant, Eduard est de plus en plus conscient des enjeux liés à sa situation de séjour: «Mes parents ont tout fait pour me préserver des difficultés, mais je me rends compte aujourd’hui que cela aura un impact sur mon avenir.» Alors qu’il ne parlait pas de sa situation au début à l’école, tel un secret à cacher, il s’en est ouvert à ses compagnons de classe, ce qui l’a libéré d’un grand poids. L’enjeu aujourd’hui, c’est la suite de son cursus, avec une ambition placée très haut mais des bases solides pour y parvenir: l’inscription en médecine, l’an prochain.
Ce qu’Henryk Chojnacki, du centre Fedasil de Rixensart, constate avec les jeunes qu’il suit, c’est la difficulté pour eux de poursuivre leur formation après les humanités: «Rudik est un jeune qui a terminé ses études secondaires et qui souhaite devenir comptable. J’aide ces jeunes à essayer d’ouvrir les portes des écoles et des universités pour qu’ils puissent continuer leur formation.» Eduard a déjà fait certaines démarches et semble confiant dans la possibilité de poursuivre ses études, même si son inquiétude porte sur les aspects financiers. Nous avons interrogé Didier Lambert, vice-recteur des affaires étudiantes de l’UCL, et ses déclarations constituent un espoir: «Le titre de séjour de nos étudiants n’est pas un prérequis pour nous. En revanche, la maîtrise de la langue est importante: c’est pourquoi nous proposons aux migrants des cours de français langue étrangère (FLE) gratuits. Les futurs étudiants doivent également prouver l’existence de leur diplôme, avec toutes les difficultés de voir reconnaître ceux obtenus à l’étranger. L’examen d’admission constitue une autre possibilité pour démontrer son niveau. Quant aux aspects financiers, nous assimilons les étudiants sans papiers à des étudiants belges: le minerval de 835 euros est dû, le reste du financement étant pris en charge par nos soins, mais cela relève de l’autonomie des universités. Nous intervenons aussi auprès des autorités communales quand des problèmes de papiers surviennent. Nous ne voulons pas mettre de freins à la poursuite d’un idéal.»
Du côté du ministre de l’Enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, Philippe Marcourt, on déclare que, «bien que les demandes d’accès à l’enseignement supérieur introduites par des personnes migrantes sont peu nombreuses, une politique d’ouverture est menée: lorsque le demandeur peut prouver que sa présence sur le territoire a été enregistrée, une inscription provisoire peut être effectuée. Les établissements et les commissaires de gouvernement exigent toutefois que le demandeur collabore activement à la régularisation de sa situation. Cette politique s’inscrit aussi dans la continuité: l’accès à l’enseignement secondaire étant assuré d’office puisqu’il est obligatoire, les établissements d’enseignement supérieur acceptent, en accord avec les commissaires, les élèves qui, quel que soit leur statut, souhaitent poursuivent des études supérieures».
Une bonne nouvelle pour Eduard et tous les étudiants dans cette situation, même si la question du droit au séjour reste une sérieuse épine dans le pied!
Making of : En 2009, Hasmik et sa famille débarquent en Belgique. Journaliste à la télévision arménienne, elle a fui son pays avec son mari et ses deux enfants. Son espoir: échapper aux brimades et menaces dont elle fait l’objet. Titulaire d’une licence en philologie, elle n’imagine pas que ses enfants ne puissent pas poursuivre des études supérieures. Le but de ce reportage réalisé ensemble, qui retrace son parcours et celui de ses enfants: donner de l’espoir et clarifier cette question de l’accès aux études supérieures pour les personnes sans papiers.
[1] DASPA ou Dispositif d’accueil et de scolarisation des primo-arrivants, qui apporte un soutien ciblé à des élèves originaires de pays étrangers pour leur permettre d’intégrer au plus vite le système d’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.