La jeunesse en (dés)espoir

Ils ont 14, 16 et 19 ans. Ils s’appellent Maité, Guillaume et Yanis. Mais ils pourraient aussi s’appeler Jessica, Youssef ou même Lorent… Ils représentent la «jeunesse corona»: ceux à qui le gouvernement a pris la liberté et l’innocence de l’adolescence pour préserver la santé de tous. Entre obligations scolaires et peur de l’avenir, ils bataillent pour garder la tête hors de l’eau.

À l’adolescence, la vie sociale est en pleine effervescence et constitue surtout le principal noyau à travers lequel les jeunes s’émancipent et se construisent. Depuis le premier confinement, ils se sont très vite retrouvés livrés à eux-mêmes, avec pour (presque) seule compagnie: une vie scolaire, même à distance. Celle-ci est d’ailleurs très vite devenue source de stress et d’inquiétude. Certains ont perdu «le sens de la vie» et pour nombre d’entre eux la motivation n’est pas au beau fixe. La fermeture récente des établissements scolaires n’aide certainement pas à raviver la flamme de la jeunesse, d’autant plus que le contexte sanitaire, ayant forcé cette décision, ne donne pas beaucoup de raisons d’être optimiste… Beaucoup peinent à gérer leurs études avec des obligations familiales souvent pesantes qui se sont ajoutées, depuis que les élèves passent beaucoup de temps chez eux. Et la réalité les rattrape: un grand fossé se creuse entre les jeunes.

«L’impression qu’on ne sert à rien»

Maïté a 14 ans et est élève dans un collège à Namur. Pendant le confinement, elle était très stressée. Ses parents travaillent à l’hôpital et elle ne les voit quasiment plus. «C’est moi qui m’occupais de la maison et c’était dur pour moi. Je suis la plus grande, donc il fallait aussi surveiller mes frères et sœurs.» Une vraie galère pour cette jeune fille.

Quant à l’école, c’est comme si l’école n’existait plus. «On n’avait aucune nouvelle, sauf de temps en temps, quelques devoirs nous étaient envoyés. Sinon, rien, et surtout il n’y avait aucun moyen de contacter les profs, rien du tout.» C’était la débrouille totale, et Maïté admet avoir un peu abandonné. «Puis imaginez devoir partager un seul ordi pour toute la famille, c’est impossible. Même mes frères qui sont en primaire avaient plus de visioconférences que moi! Aujourd’hui ça va un peu mieux, même si mes notes ont quand même chuté.»

Encore aujourd’hui, un an après le début de la pandémie, les jours où Maïté se retrouve à la maison, elle arrive rarement à assister aux cours en ligne. «Je me pose dès lors beaucoup de questions sur ma scolarité et il m’arrive souvent d’avoir le cafard. On a l’impression qu’on ne sert à rien.»

«Je n’ai rien fait»

Pour d’autres, continuer à faire des efforts n’est même plus une option, tant les jeunes sont à bout. C’est le cas de Guillaume, 16 ans, élève en 4^e secondaire. «Je ne vois pas pourquoi on doit continuer à s’investir, alors qu’on est complètement mis sur le côté. Les études, c’est bien, mais la santé mentale, c’est mieux. Du jour au lendemain, on ne peut plus vivre et faire comme on veut. Je ne voyais personne, j’étais perdu, mais, en même temps, je ne faisais rien de mes journées. Pour l’école, c’est très simple, je n’ai rien fait.»

Avant les dernières mesures, Guillaume allait encore trois jours à l’école par semaine. «Mais quand je suis à la maison, pour moi, c’est les vacances et je perds le rythme.» De plus, tout le monde n’est pas équipé des mêmes outils pour continuer à s’en sortir. «Je viens seulement d’avoir l’aide du CPAS pour pouvoir m’acheter un ordi et suivre en ligne les cours quand il le faut.» Avant ce soutien matériel, Guillaume n’envoyait aucun devoir. «Je pense que même mon école n’avait pas mon adresse mail et elle ne me l’a jamais demandée.» Pourtant, l’état mental des jeunes devient inquiétant et peu d’initiatives semblent mises en place pour les accompagner psychologiquement. Comme si, pour le plus grand nombre, tout roulait comme sur des roulettes.

Une génération perdue?

«Je dois avouer que c’est une situation qui n’est pas facile à vivre tous les jours, mais quel autre choix a-t-on?», témoigne Yanis, 19 ans. Pour le jeune homme, ça baigne, et il admet qu’il n’a pas trop à se plaindre pour le moment. «Ça tombait même bien pour moi qu’on n’ait pas eu à passer le certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS)», plaisante-t-il.

Malgré cela, Yanis se demande souvent ce que lui et sa génération vont «valoir plus tard». «J’ai un peu l’impression de devenir bête, l’impression que je n’apprends plus grand-chose.» Quand il compare sa situation avec ses proches, Yanis trouve que son école était quand même beaucoup derrière lui, parfois même trop. «Très vite les profs ont adapté leur enseignement. On avait même des contrôles en ligne. Par contre, pour d’autres copains, certains se demandaient s’ils étaient toujours scolarisés! D’autres n’avaient même pas d’endroit pour travailler correctement, alors qu’ils en avaient l’envie.»

L’avenir en suspens

Face à cet enseignement à distance et aux différences qu’il impose parmi les jeunes, le rôle des parents est devenu fondamental pour soutenir au mieux les jeunes. Christine, mère au foyer, a dû s’adapter à cette situation, en constatant que ses deux enfants font face à cette crise de manière bien opposée. «Certains enfants n’ont pas vraiment besoin de cadre pour avancer, ils arrivent à se construire seuls. D’autres, en revanche, ont du mal à se discipliner si personne n’est derrière eux. Ajoutez à cela le manque de contact social et vous arrivez très vite à ce que je qualifierai de surmenage. On en demande beaucoup à des individus qui n’ont pas encore toutes les clés pour tenir mentalement.»

À l’avenir, il faut espérer que la situation se stabilise d’elle-même, une fois que les enfants seront habitués aux nouvelles façons de vivre ce quotidien sanitaire. Cet horizon semble encore toutefois très loin, tant les jeunes sont mis sous pression, avec des mesures qui les empêchent de pouvoir vivre sereinement leur éducation. La récente fermeture des écoles, la deuxième en un an, laisse les jeunes baigner dans un flot d’incertitudes. M. Verbast, professeur de français du 3^e degré, reste optimiste: «Les élèves continueront d’avoir besoin de nous. Je pense surtout qu’il faut mettre en place des dispositifs qui les aideront à reprendre foi en eux-mêmes et en l’humanité, en général.» Le professeur est lui-même père de trois enfants. Il constate que la principale source d’inquiétude des jeunes concerne leur avenir. «Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui le construisent. À l’école, nous peinons encore beaucoup pour récupérer tous les élèves qui sont sur le point de quitter le navire. Les enseignants ne sont malheureusement pas les seuls décideurs, ce qui peut expliquer pourquoi certains établissements fonctionnent mieux que d’autres.»

Face à tant d’inconnues, d’inégalités, mais aussi d’indifférence de la part des autorités, il ne reste aux jeunes que leur courage pour trouver l’espoir d’un avenir plus sûr, en souhaitant qu’il soit imminent…

EN SAVOIR + Lire l’article d’Alter Échos, « Coulez jeunesse», Van Reste C., 28 janvier 2021 https://www.alterechos.be/coulez-jeunesse/