Quand les opportunités et les perspectives s’évaporent

Une génération qui se dit «oubliée», une jeunesse qui se voit comme «sacrifiée» ou encore «délaissée»: avec des emplois, étudiants ou non, qui se perdent ou qui se font rares, c’est ce que vivent et ressentent bien des jeunes touchés par une crise sociale et économique qui pourrait s’avérer sans précédent, depuis la crise de 1929. C’est en tout cas un avenir incertain, semé de multiples incertitudes, qui s’offre à eux, avec pour préoccupation première, l’insertion au monde du travail.

Depuis le début de la crise sanitaire, il a été démontré que la population dite «jeune» a la particularité d’être moins touchée, médicalement parlant, par la ténacité du virus Covid-19. Une réalité qui ne l’immunisera pourtant pas contre une crise économique de grande envergure.

«C’est dur de se dire que, du jour au lendemain, tout s’arrête, que le monde entier se met à fonctionner au ralenti et différemment, que ce qu’on pensait acquis devient incertain. Mais, surtout, c’est compliqué de réaliser qu’on sera les premières victimes, sans doute pas de la crise sanitaire, mais d’une crise économique encore plus forte que celle de 2008», constate Ryan, 21 ans, étudiant en deuxième année d’un bachelier en commerce et développement, à la Haute École Francisco Ferrer.

Comment faire face aux dépenses?

Ryan fait partie de ces 78,67% d’étudiants de hautes écoles, recensés par l’enquête de la Fédération des étudiants francophones (FEF), ayant perdu leur job étudiant durant la première vague du virus Covid-19. Une activité professionnelle qu’il n’a malheureusement pas pu reprendre, car l’établissement de restauration pour lequel il travaillait a dû revoir ses besoins en personnel à la baisse après le premier confinement et se défaire d’une partie de sa main-d’œuvre pour pouvoir s’en sortir. C’est ce dont témoigne Ryan: «Je peux comprendre mes patrons: ils ont dû faire des choix pour pouvoir essayer de garder la tête hors de l’eau. Mais, après, ce n’est pas facile à encaisser, parce que mon job me permettait d’être indépendant financièrement et de ne plus dépendre de mes parents. Je subvenais à mes besoins, sans jamais rien demander à personne, tout en continuant à aller en cours. Là il faut commencer à penser à ce que je dois sacrifier pour m’en sortir.»

Des rentrées d’argent qui se font rares, des économies qui s’amenuisent, mais des obligations financières qui, elles, continuent à persister et auxquelles les jeunes doivent faire face. Sofia est étudiante en première année d’assistante sociale à l’Institut supérieur de formation sociale et de communication (ISFSC). Elle explique: «On ne vit plus comme avant, ça, c’est sûr. Notre vie de jeunes entre grands guillemets a été chamboulée, limite mise en pause. Jusqu’à quand? Je ne sais pas. Nos sorties sont limitées pour, d’un côté, respecter les règles sanitaires qui, sans mentir, commencent à être dures à vivre. Mais aussi parce que, financièrement, ça devient difficile, surtout quand je sais que je dois vivre de mes économies et choisir à quel moment dépenser ce qui me reste.» Il faut désormais apprendre à vivre avec cette réalité et commencer à appréhender la vie autrement. Se dire que, désormais, les sacrifices et les concessions vont faire partie du quotidien, de l’arrêt d’un abonnement «Netflix/Amazon Prime» à celui d’un simple abonnement téléphonique.

Des débuts professionnels compliqués

Pour Léna, jeune diplômée d’un bachelier en comptabilité en 2019, la réalité est encore différente. Son bachelier en poche depuis un an maintenant, les petits boulots en l’attente d’un poste souhaité en entreprise, elle connaissait, jusqu’à ce qu’arrive cette décision du premier confinement. «Ça a vraiment fait un choc de se dire que ça y est, nous y sommes, on ferme tout. De grands secteurs ont fermé leurs portes et indirectement la demande de main-d’œuvre s’est évaporée. Aujourd’hui on peut facilement observer que, malgré la réouverture de certains de ces secteurs, les opportunités professionnelles se font rares, car il y a moins d’offres qu’avant. Je savais que trouver un job n’allait pas être simple, une fois mes études finies. Mais là, ça s’annonce mission impossible», nous confie Léna.

Tout juste diplômée d’un bachelier en relations publiques à l’EPFC durant cette pandémie, Alice, elle aussi, se voit contrainte de revoir tous ses plans. «Vers la fin du deuxième quadri, je sentais que ça allait être compliqué de trouver quelque chose en septembre. C’était illusoire de penser que je pourrais trouver une place dans le domaine de l’événementiel, avec tout ce qui se passe actuellement. Alors, à la place de postuler pour tout et pour rien, j’ai décidé de considérer cette année comme “sabbatique” pour parfaire mes langues et voir ce que l’avenir me réserve.»

Les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché de travail seront les premiers impactés par les conséquences économiques de cette crise sanitaire de grande envergure, notamment par le manque de postes à pourvoir. Malgré cette crise à multiniveaux, les réflexes sont toujours les mêmes: aller à la recherche d’un job étudiant ou d’une offre d’emploi sur de nombreux sites. Avec, pour objectif premier, envoyer le plus de CV possible. Une opération qui se répète quotidiennement, en espérant pouvoir trouver une petite annonce correspondant à leurs critères. Un effort sans résultat pour bon nombre d’entre eux, car, s’ils ont des nouvelles, c’est pour leur annoncer une fin de non-recevoir. Comme le déplore Léna, «on doit faire face à des “réponses toutes faites” qui nous expliquent qu’avec ce qui se passe, les employeurs se trouvent dans l’incapacité de donner suite à notre candidature».

Une génération sacrifiée?

Pour Ryan, les refus catégoriques s’enchaînent et l’espoir diminue de jour en jour. «Comment puis-je rester calme face à ça? On te dit “non” sans détour et tu vois tes économies diminuer chaque jour. En plus d’avoir l’impression d’être privé de ma jeunesse, je dois faire face à une incertitude professionnelle. Je galère déjà pour un job étudiant, mais ça va être quoi quand je serai à la recherche de mon premier emploi après mes études? J’ai l’impression qu’on m’annonce déjà la couleur pour l’avenir.»

Des termes forts sont utilisés pour qualifier leur ressenti: «Au début, je pensais que ceux qui nous qualifiaient de “génération sacrifiée” exagéraient. Mais non, en fait, ils n’ont pas tort, car en plus de sacrifier une partie de notre jeunesse, certes pour le bien de tous, on est les premières victimes oubliées de notre gouvernement, déplore Sofia. On pense qu’on survivra à ce virus, mais qui peut nous assurer que nos futurs employés sortiront vivants de cette crise économique? On mérite tous un “happy ending” après ce virus, mais peut-on réellement l’imaginer avec ce que nous réserve l’avenir?»

Entre crise sociale et économique, l’horizon professionnel actuel leur semble nébuleux, parsemé de doutes et d’embûches. Et cela pour une grande partie de la jeunesse belge qui se sent délaissée par les décisions du gouvernement.

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