Squats et occupations : vivre ensemble
La question du (mal-)logement a traversé notre réflexion sur l’espace public. Se loger dans la jungle du marché du logement bruxellois n’est pas chose aisée pour un grand nombre de personnes, qui décident donc d’ouvrir et d’occuper des bâtiments. Comment s’organisent-elles pour vivre en collectif et pour créer de la solidarité dans les lieux et les quartiers qu’elles investissent ? Telle est la question principale qui a animé notre équipe de reporters novices ou aguerris en la matière. On a rencontré Fred, du Boiler, et Apollinaire, de l’Hospitalière.
L’Hospitalière est une occupation d’environ 80 personnes sans papiers qui a débuté en décembre 2020 dans l’ancienne clinique Antoine Depage, à Saint-Gilles. L’occupation est portée par une dizaine de mouvements, parmi lesquels des collectifs de migrants, comme la Voix des Sans-Papiers (VSP) et le collectif des travailleurs sans papiers, ainsi que par des groupes de citoyens solidaires.
Le Boiler est un squat installé à Laeken. On y dort, on y récupère et répare un tas de choses, on y imagine aussi d’autres façons de consommer et d’habiter.
Voici un condensé de conseils glanés lors de nos visites…
ALTER MÉDIALAB : À qui ces lieux sont-ils ouverts ?
APOLLINAIRE : À l’Hospitalière sont logées des personnes sans papiers dans le dénuement total, accéléré par le Covid. Femmes, hommes et enfants y sont bienvenus.
FRED : Au Boiler, on trouve une quinzaine de personnes mixtes culturellement et sexuellement, arrivées au Boiler par besoin, par envie, par engagement. Le lieu est ouvert à tout le monde, dans la limite des chambres disponibles. Il y a beaucoup de copinage car les listes d’attente sont énormes. Raison pour laquelle, même quand on trouve un lieu, il faut pas s’arrêter d’ouvrir, toujours ouvrir. Y a trop de gens dans le besoin.
AML : Comment s’est passée la relation avec le propriétaire ?
F : On est entré dans le lieu vide avec un dossier concret. On avait tous les renseignements que les proprios ne voulaient pas donner au début, donc on n’a pas triché, ils savent qu’on n’est pas là par hasard. Ce sont des hommes d’affaires, des promoteurs qui représentent une famille. Au début, ils ne rigolaient pas du tout. Mais le promoteur nous a ensuite fait confiance.
A : C’est un long travail dont je ne peux pas définir toutes les stratégies, mais il a d’abord fallu cibler le bâti- ment, identifier s’il était vide. Nous avons ensuite pris contact avec la po- lice, les autorités communales, mais aussi les médias. Et, heureusement, nous avons croisé des personnes compréhensives dans les négociations avec le propriétaire qui est le CPAS de la Ville de Bruxelles.
« Même quand on trouve un lieu, il faut pas s’arrêter d’ouvrir, toujours ouvrir. Y a trop de gens dans
le besoin. » FRED
AML : Quels liens se sont noués avec les voisins et comment ?
A : On a dû faire comprendre, avec des petits mots et des pétitions, que nous n’étions pas dangereux mais en danger. Et je pense qu’ils ont com- pris, car ils nous ont soutenus ensuite. Aujourd’hui, les relations sont bien tissées. On a aussi un médiateur de la commune, avec qui nous sommes en contact en cas de souci.
F : Le Boiler a noué des liens avec l’école qui jouxte le bâtiment. On a fait la cloison, des assises en bois en récup’, on a créé une sortie de secours. On a aussi peint les murs de la salle avec des peintures récupérées.
AML : Comment s’organisent les tâches domestiques ?
A: Tout le monde met la main à la pâte. C’est assez logique que chacun nettoie et prenne soin de son appartement. Tout est assez organisé. Chaque étage organise une équipe de nettoyage. En ce qui concerne la réception à l’accueil, ce ne sont que des hommes. Tout ce qui est physique et risqué, comme rester à la porte est confié aux hommes.
Ce n’est pas Fred qui le dit, mais une affiche collée dans la cuisine du Boiler : « L’autonomie commence quand tu laves ta vaisselle tout seul. »
AML : Comment règle-t-on les conflits ?
F: On a des AG tous les 15 jours. Puis sinon, on gueule beaucoup… mais on communique aussi !
A : L’intérêt personnel ne doit pas dominer l’intérêt collectif. Chacun a senti son ventre bouillonner à un moment mais ça se calme toujours… On cherche un équilibre en assemblée pour trouver des accords. Et chacun doit s’organiser en connaissance de cause. Sur le plan plus large de la lutte des sans-papiers, il ne faut pas oublier qu’on est tous engagés pour la même cause. Nous sommes tous les patates d’une même sauce…