Allocation de chômage à taux isolé, atteinte à la vie privée ?
Le nouveau Gouvernement fait beaucoup parler de lui concernant l’allocation de chômage à taux isolé. De nouvelles mesures risquent d’être mises en application dans le courant de l’année 2015. Comment les aborder? Doit-on être méfiant ou confiant?
Selon Richard Lumumba, percevant l’allocation de chômage à taux isolé: « il y a une atteinte à la vie privée venant de l’État et un désir de contrôle plus grand de la population à travers cette mesure. Par exemple, imaginons, j’ai un écran plasma qui consomme énormément d’énergie. La crainte est de devoir justifier mes achats selon mes revenus dans le cadre de ma consommation. D’un autre côté, je peux comprendre que le contrôle du chômage est nécessaire afin de réguler les dépenses du budget de l’État et contrer la fraude (…). Cependant, les méthodes employées par le gouvernement manquent de pertinence et d’objectivité, car au lieu de remédier à une situation, on laisse beaucoup de familles qui ont réellement besoin d’aide et on déporte le problème ».
Ce témoignage illustre bien les conséquences que peut avoir cette nouvelle mesure de contrôle des isolés. Cependant, débutons par le commencement …
Qu’est-ce que le chômage à taux isolé?
L’allocation au chômage à taux isolé concerne les personnes qui vivent seules et qui ne partagent pas les mêmes biens sous un même toit. Depuis le 1er janvier 2012, un individu « isolé » bénéficie d’un montant par mois qui varie entre 314 et 817 euros selon l’âge.
La personne qui veut bénéficier d’une allocation de chômage doit soumettre à l’Onem (Office National de l’Emploi) sa dernière rémunération ainsi que sa situation familiale et professionnelle (précompte professionnel). Par contre les personnes isolées qui n’ont aucune activité professionnelle et qui bénéficient d’une allocation au chômage ne sont pas soumises à un précompte professionnel sauf si elles en font la demande.
David Leisterh, conseiller social au cabinet du vice premier ministre Didier Reynders (MR) et président du CPAS de Watermael-Boitsfort, explique : « Il y a une série de personnes qui touchent le CPAS et le chômage. Si par exemple deux personnes vivent ensemble, ils auront un taux cohabitant qui représente 600 euros par personne. Mais il y en a qui mentent et disent qu’ils vivent seuls et donc, à partir de là, on parle de taux isolé qui représente une somme de 1000 euros. Dans ce cas-là, on peut parler de fraude sociale, ce qui implique des mesures telles que le contrôle des factures ».
Qu’est-ce que la fraude sociale?
La fraude sociale est un acte illégal commis par un individu sous forme d’infraction à la législation sociale. Les autorités fédérales sont seules habilitées à traiter la fraude sociale.
La fraude sociale peut se révéler de différentes façons :
– Le travail en noir
– Une personne bénéficiant d’une allocation alors qu’elle n’en a pas le droit.
– etc.
Contrôle des «isolés»
Début des années 1980, entre en vigueur une modification de la réglementation du chômage due à une importante augmentation de demandeurs d’emploi. Contrairement aux «chefs de ménage» et aux «isolés», les cohabitants perçoivent une allocation peu élevée. De ce fait, l’Onem a peur que ces derniers se déclarent «chefs de ménage» ou «isolés» dans le but de percevoir une meilleure allocation. Des inspections sont réalisées au sein des domiciles des chômeurs suspectés de fraude sans les avertir préalablement et sans mandat de perquisition. Cela avait pour but de rechercher des indices en vue de découvrir si la personne était en cohabitation ou non (par exemple, la vérification d’une seconde brosse à dents ou de sous-vêtements du sexe opposé).
A la fin des années 1990, des contrôles effectués par les inspecteurs de l’Onem sont devenus moins rigoureux grâce à une mobilisation de la population.
Le projet du gouvernement viserait à renforcer cette rigueur. D’après David Leisterh,«L’Onem va engager des agents habilités à contrôler la fraude par l’eau. Par exemple, si on observe qu’une personne à taux isolé est passée de 1000 unités par an à 10.000 unités, on se dit qu’il y a un problème. La première étape est d’aller vérifier s’il ne s’agit pas d’une fuite d’eau. Si cela en est une, tant mieux et si non, la deuxième étape est de constater qu’il s’agit peut-être d’une fraude sociale.»
Évolution du contrôle des chômeurs
Le contrôle des chômeurs par les pouvoirs publics a connu des évolutions importantes ces dernières années. Avant la Seconde Guerre mondiale déjà, les caisses de chômage syndicales vérifiaient si les chômeurs étaient sans emploi. Après-guerre, ce système de vérification a été remplacé par le pointage communal, qui représentait, de ce fait, un contrôle quotidien pour lutter contre le travail en noir.
Les années 1970 ont été marquées par une explosion du taux de chômage, avec à la clé des changements budgétaires et politiques. Dès lors, la restriction des droits au chômage est devenue plus rigoureuse qu’avant.
De nouvelles réglementations sont apparues, notamment la mise en place de contrôles soutenus visant à traquer les «faux chômeurs», touchant parfois à la vie privée des individus. Cette surveillance a été contestée par de nombreuses associations, ainsi que par des groupes de personnes concernées, ce qui a amené le gouvernement à réglementer ce type de contrôles.
Actuellement, sur quoi se base cette nouvelle vérification concernant les sans-emplois? Depuis 2004, c’est sur la recherche «active» d’emploi, et plus seulement sur la disponibilité des chômeurs, que se base le contrôle. C’est-à-dire qu’il ne s’agit plus tant d’attraper des éventuels «faux chômeurs» que d’obliger l’ensemble des sans-emplois à rechercher et, du coup, à devoir accepter le cas échéant des emplois qualifiés de décents, mais parfois mal rémunérés et précaires. Certaines résistances existent, cependant elles sont de nos jours assez discrètes et restent limitées aux organisations syndicales ainsi que quelques collectifs associatifs.
Les acteurs de cette nouvelle mesure
Les acteurs politiques de cette nouvelle mesure de contrôle sont Maggie De Block (Open VLD) qui s’occupe de la sécurité sociale et Bart Tommelein (Open VLD), en charge de la fraude sociale.
Le nouveau secrétaire d’État à la lutte contre la fraude sociale, Bart Tommelein a indiqué qu’il allait réexaminer la création d’un point de signalement. C’était lors de son audition devant la Chambre le mercredi 13 novembre. Ce point de signalement va rassembler un nombre important de plaintes venant de différents services et s’inscrire dans une collecte et comparaison de données venant des administrations pour détecter la fraude sociale. Si cette disposition est approuvée, elle va permettre aux pouvoirs publics de recevoir les données relatives à la consommation de gaz, d’électricité et d’eau. Grâce à ces données, Bart Tommelein souligne qu’il sera possible de vérifier si la consommation est en concordance avec les données relatives au domicile et ce, dans le respect de la vie privée… Cependant, pour Philippe Masart, le porte-parole de Sibelga (le distributeur de gaz et électricité dans la région de Bruxelles-Capitale) ; «Les données de consommation sont des données privées».
Selon le site de La Libre, les socialistes sont outrés et Frédéric Daerden (PS) a lancé à Bart Tommelein: «Je perçois de votre part une équation chômeur = fraudeur. Il y en a mais je refuse cette stigmatisation grossière.»
Il y a aussi de l’indignation du côté du secrétaire de la FGTB, Marc Goblet, qui pense que le gouvernement s’en prend à nouveau aux plus faibles de la société et, par conséquent, protège les riches.
Mesures pour lutter contre la fraude sociale
Ces débats ne datent pas d’hier. En effet, une procédure a été réfléchie lors de la législature précédente, lors de laquelle une proposition de loi de Liesbeth Homans (NVA) été discutée mais pas votée.
Selon l’exposé d’orientation politique de Bart Tommelein, la mesure principale serait « de vérifier automatiquement si les données de consommation coïncident avec les données de domiciliation. Le but n’est pas d’organiser une chasse aux sorcières par rapport aux bénéficiaires des allocations, mais d’émettre un signal d’alerte et de lancer une enquête sur cette base ». Les véritables fraudeurs seront la cible de contrôles drastiques tandis que les allocataires honnêtes ne devraient pas s’en préoccuper.
David Leisterh, souligne: «Il faut faire très attention à ne pas caricaturer les allocataires sociaux comme des abuseurs du système. Des abus existent et les premiers à en souffrir sont ceux qui n’abusent justement pas, mais tentent de s’en sortir.»
Il y a des droits à la sécurité sociale qui amènent le versement d’allocations illégitimes. La tâche de Maggie De Block et Bart Tommelein est d’enquêter sur les profils à risque des fraudeurs et les emplois fictifs. Cette enquête se fera à partir de sa position centrale qu’est l’office national de sécurité sociale (ONSS) au sein des institutions publiques de sécurité sociale (IPSS). Cependant, selon David Leisterh, «Tant qu’on ne peut pas prouver le travail en noir ou la fraude sociale, on ne peut pas arrêter l’aide.»
La vérification et la surveillance de la bonne application des règles se fera par le justiciable, ainsi que par le législateur. Les autorités fédérales, les régions et les administrations locales sont également impliqués pour lutter contre cette fraude aux allocations et au domicile.
Bart Tommelein a le souhait «d’organiser une table ronde en concertation avec des collègues compétents en la matière, quelques CPAS des grandes villes des trois Régions, afin de pouvoir échanger nos expériences en la matière ».
Le nouveau gouvernement appliquera cette mesure au courant de l’année 2015. On ne peut pas affirmer si les mesures prévues pourront entièrement répondre à ce phénomène social. D’ailleurs, d’après les dires du professionnel du terrain, David Leisterh, « Nous ne pouvons pas encore évaluer si les mesures attendues peuvent atteindre réellement leur but. Nous ne savons même pas encore quand elles vont être précisément appliquées ».
L’impression première est de peut-être percevoir ces mesures comme trop drastiques, le sont-elle vraiment ? Peut-on parler de mesures proportionnées face à ce phénomène social ? A l’heure actuelle, rien n’est dans l’affirmatif, mais plutôt dans l’espérance.
Malgré les craintes qui persistent sur l’atteinte à la vie privée, il n’est pas possible à l’heure actuelle d’en établir le fondement mais espérer que le nouveau gouvernement ne commettra pas les mêmes erreurs que celles du passé.