04/09
2020
par Par Florence Mol, Sophie Manderick et Karolina Smolinska, étudiantes du MIAS1 de l’IESSID, catégorie sociale de la Haute Ecole Bruxelles Brabant.

Avortement après 12 semaines : et si le changement du délai légal ne suffisait pas ?

À l’heure où le sujet de l’avortement est sur la table des négociations, des médecins de plannings familiaux assument et revendiquent l’importance de pouvoir, parfois, flirter avec les limites de la loi. Un seul but: soutenir la femme dans ses choix et diminuer la souffrance liée à cet acte encore trop stigmatisé dans notre société.

 

En Belgique, depuis quelques années déjà, certains praticiens ne se cachent pas de flirter avec les limites de la loi de 1990 souvent considérée comme obsolète, infantilisante et maltraitante pour les patientes et non adaptée aux besoins actuels des femmes. Il semblerait donc que dans certains cas, des procédures entourant les interventions volontaires de grossesse – IVG – soient adaptées même si cela implique de sortir du cadre légal.

Certains le taisent mais ne cachent pas leur combat pour l’allongement des différents délais relatifs à l’avortement. D’autres assument, convaincus par leurs valeurs et par leur vécu professionnel après avoir rencontré de nombreuses situations dramatiques.

Vers une évolution de la loi

À ce jour, bien que la question de l’avortement soit sur la table des négociations depuis des mois, c’est la loi du 15 octobre 2018, communément appelé le «compromis» de 2018, qui encadre l’interruption volontaire de grossesse. Depuis lors, l’IVG est autorisée si (et seulement si) elle est réalisée sous certaines conditions :

–          L’IVG doit être pratiquée avant la fin de la 12ème semaine de conception (14 semaines d’aménorrhée).

–          Un délai de six jours de réflexion doit être respecté entre la première consultation et le jour de l’intervention. Ce délai ne peut être raccourci sauf s’il existe une raison médicale urgente pour la femme d’avancer l’interruption de grossesse.

Si ces conditions ne sont pas toutes respectées, le médecin et la femme ayant eu recours à l’IVG sont susceptibles d’être punis par la loi (emprisonnement et/ou amende).

Selon la loi de 2018, au-delà du délai des 14 semaines d’aménorrhée, l’IVG ne pourra être réalisée que lorsque la poursuite de la grossesse met gravement en danger la santé de la patiente ou lorsqu’il est certain que l’enfant sera atteint d’une affection grave et reconnue comme incurable. On parlera dans ce cas d’interruption médicale de grossesse (IMG).

La Loi d’octobre 2018, retire donc l’avortement du code pénal, sans toutefois arriver à une vraie dépénalisation, puisque ce texte maintient des sanctions pénales. Ajoutons aussi que cette loi de 2018 n’améliore que très peu les conditions d’accès à l’IVG contrairement aux demandes des personnes de terrain qui avaient été émises lors des auditions en Commission Justice.

Ce texte de 2018 avait été approuvé avec le soutien du CdH et avait suscité des réactions très négatives de tous ceux qui défendent une dépénalisation complète. Les termes de «leurre» et de «fausse dépénalisation» avaient d’ailleurs été évoqués à l’époque. Ce compromis était déjà à l’époque vécu comme très sensible pour les partis CD&V, N-VA et libéraux. Il avait finalement été entériné par le gouvernement de Charles Michel.

Le mercredi 24 octobre 2019, le débat relatif au droit à l’avortement a repris en Commission Justice de la Chambre des représentants. Quatre propositions de loi ont été présentées en Commission (celles du PS, de DéFI, du PTB et d’Ecolo-Groen). Les textes revendiquent tous une «réelle» dépénalisation de l’avortement en Belgique ainsi que l’amélioration de ses conditions d’accès.

En effet, le délai dans lequel un avortement peut être pratiqué passerait à dix-huit semaines après la conception au lieu de douze actuellement. Le délai de réflexion serait réduit à 48 heures. Enfin, les sanctions pénales devraient disparaître, aussi bien pour la femme que pour le médecin qui pratique l’IVG.

Les conditions actuelles de la loi s’inspirent encore en grande partie de la loi de 1990. Il s’agit donc ici d’adapter le texte aux défis actuels, notamment le nombre de femmes (entre 500 et 1.000 par an) contraintes d’aller dans un autre pays pour avorter, mais aussi une conception du droit des femmes à disposer de leur corps qui doit absolument évoluer. Le dispositif de 1990 est obsolète et contient des éléments culpabilisants, estiment les députées.

Huit groupes ont donc signé ces amendements à une proposition de loi du PS (outre les socialistes, c’est le cas des libéraux, des écologistes, de DéFI et du PTB).

Suite à ces quatre propositions, l’objectif était un vote avant la fin de l’année. Mais, actuellement, le cdH, le CD&V et la N-VA ne soutiennent pas la nouvelle proposition mais ne peuvent pas bloquer le texte.

Précisons ici que les oppositions peuvent être relativement variables. Le cdH soutient, par exemple, la réduction du délai de réflexion ainsi que la dépénalisation pour les femmes mais ne souhaite pas soutenir une dépénalisation complète ou l’augmentation du délai d’avortement à 18 semaines. Le CD&V a, quant à lui, annoncé qu’il épuiserait tous les moyens parlementaires pour s’opposer à l’initiative.

C’est dans ce contexte d’opposition que l’avis du Conseil d’État a été demandé avant le vote, ce qui a pour conséquence que rien n’a été voté à ce jour (fin janvier).

En effet, celui-ci ne sera pas disponible avant la séance plénière de la Chambre du 13 février, la Haute instance souhaitant se prononcer sur ce sujet en assemblée générale.

Qu’en dit le secteur ?

Parler de la thématique de l’avortement et des combats qui entourent ce sujet ne peut se faire sans évoquer a minima les plannings familiaux et rappeler à quel point ils ont été et sont un élément essentiel de cette évolution de la loi.

Nous avons donc été à la rencontre d’un membre et administrateur d’une fédération des plannings familiaux. Lors de notre rencontre avec ce dernier, il nous rappellera notamment que «la création des centres de plannings familiaux fut directement en lien avec le combat des femmes pour acquérir leurs droits à l’accès à la contraception et à l’avortement, en lien aussi avec le clivage entre laïcs et chrétiens sur les questions de parentalité, de sexualité, de contraception, d’IVG».

Il nous est expliqué que la fédération a soutenu les différentes propositions de loi concernant l’IVG et notamment en 2018, la proposition qui avait été déposée remettant en question la loi de 1990 dépénalisant partiellement l’IVG, comme expliqué ci-dessus.

Enfin, il rappelle ces idées et valeurs qui rassemblent les centres de plannings familiaux: notamment, pour le sujet qui nous intéresse, le souci des droits des femmes à disposer de leurs corps, celui de maintenir ouvert le débat sur les questions éthiques, de laisser émerger chez la personne ses propres choix et de respecter ses valeurs et ses souhaits, sans jugement.

Dépassement du cadre légal: une anticipation de la loi parfois nécessaire

Lors du changement de loi de 2018, plusieurs personnes du secteur avaient été interrogés. Pour certains, pas de langue de bois.

Un praticien disait notamment sa fierté d’être parfois hors cadre légal pour répondre aux femmes désireuses d’obtenir une interruption volontaire de grossesse. La loi oblige, par exemple, les prestataires de soins à informer préalablement les femmes des diverses possibilités existantes, dont la possibilité de faire adopter l’enfant, ce que ce praticien n’énonçait pas.

Dominique Roynet, représentante du groupe d’action des centres extrahospitaliers pratiquant l’avortement ajoutait d’ailleurs à l’époque: «D’initiative, nous n’abordons jamais l’obligation d’informer y compris sur l’adoption, les femmes ne demandent pas cela.»

Le praticien expliquera également qu’entre l’obligation d’un délai de réflexion infantilisant de minimum 6 jours et le choix d’une IVG médicamenteuse dont le délai de 7 semaines est de plus en plus mis en danger par ce délai de réflexion obligatoire, «le choix est fait».

De son côté, le gynécologue obstétricien Yannick Manigart, chef de clinique au CHU Saint-Pierre à Bruxelles a pu expliquer, à la même époque, comment il touchait parfois aux limites de la loi lorsqu’il est confronté à un public de femmes extrêmement vulnérables qui n’ont parfois pas d’autre choix que de recourir à une IVG très onéreuse aux Pays-Bas après une grossesse de 12 semaines. «On se décharge là-bas de nos responsabilités, c’est une vraie injustice sociale», a-t-il dit à l’époque, confiant avoir notamment pris le risque d’avorter en Belgique une jeune fille syrienne mineure sans papiers, enceinte de 16 semaines, qui avait subi un viol.

C’est aussi en ce sens que d’autres médecins prendront la parole, en 2019 cette fois, lors de débats et interviews sur le sujet. Beaucoup peuvent faire écho de cas complexes qui se présentent à eux, pour lesquels la loi est souvent cadenassante, que ce soit au niveau du délai de réflexion ou au niveau du délai d’avortement.

Rencontre avec une praticienne engagée

Le Dr Alessandra Moonens est médecin dans un planning familial en Région bruxelloise et membre du groupe d’Action des centres extrahospitaliers pratiquant l’avortement (Gacehpa). Elle rencontre régulièrement des femmes qui désirent avorter, mais qu’elle doit diriger vers l’Allemagne ou la Hollande car le délai légal en Belgique est dépassé. Parmi ces femmes, il y a des personnes en grande précarité qu’il faut envoyer, si on suit la loi, se faire avorter dans un autre pays à des coûts exorbitants. Pour plusieurs raisons, elle s’insurge donc du fait que des sanctions pénales demeurent si le médecin ne respecte pas la loi.

Ce qui l’intéresse, ce sont les femmes et leur situation individuelle. Elle défend le fait que chaque femme a la capacité de décider pour elle-même de sa situation, qui lui est propre. Elle est contre le fait de juger les femmes sur les bonnes ou les mauvaises raisons d’interrompre une grossesse.

Médecin qui assume ses choix et ses valeurs, nous avons souhaité aller à sa rencontre pour l’interroger sur ces pratiques parfois «à la limite du légal», mais qui semblent éthiquement et humainement nécessaires. Elle nous dira d’emblée et sans détour: «Ça ne peut pas être considéré comme normal d’obliger une femme à devenir maman. (…) Une maternité forcée est une violence faite aux femmes reconnue par l’OMS.»

Acte encore très tabou, elle remarque que les femmes qui avortent souffrent beaucoup du regard stigmatisant de la société. Toutefois, cela ne les empêche pas d’aller jusqu’au bout de leurs choix. Les praticiens qui voudraient les accompagner au-delà du délai légal sont confrontés à un manque de moyens techniques et financiers. En effet, «il y a plusieurs termes dans la loi qui font qu’on est dans l’illégal mais sur le délai maximum, nous, dans les plannings, techniquement parlant, on ne peut pas dépasser». Le Dr Moonens nous explique, par exemple, que seules les anesthésies locales sont possibles dans les cabinets médicaux des plannings, alors qu’une «anesthésie de déconnexion» est nécessaire au-delà des 14 semaines. Au niveau financier, «on attend que la loi passe au gouvernement pour avoir un petit budget qui se débloque pour pouvoir former les médecins».

Le Dr Moonens n’a pas peur d’affirmer que «si on le pouvait, on le ferait! Je suis prête à le faire demain si j’ai un lieu et que je suis formée».

Elle nous confirme aussi que les alternatives (telles que l’adoption par exemple) sont rarement voire jamais évoquées. Mais c’est surtout le délai de réflexion que le Dr Moonens nous dit ne pas respecter. «Il y a 5 ou 10 ans, on avait encore cette idée que les femmes avaient besoin du délai de réflexion. (…) Le besoin de réfléchir est vrai pour certaines femmes mais ne l’est pas pour d’autres. À présent, c’est surtout l’idée de se coller le plus possible au désir des femmes et ça a beaucoup avancé. Au début, c’était très difficile de réduire les délais de 6 jours.» Actuellement, il semblerait que ce soit très répandu. Le Dr Moonens nous confie aussi son regret de ne pas pouvoir accompagner certaines patientes au bout de leurs démarches dans un cadre connu et rassurant. Elle est trop souvent contrainte, explique-t-elle, d’envoyer une à deux femmes par semaine en Hollande. Enfin, nous apprendrons, au terme de l’interview, que 20.000 avortements sont déclarés en moyenne par an et qu’une femme sur trois avorte dans sa vie. Mais peu de femmes concernées en parlent autour d’elles, selon le Dr Moonens.

Conclusion

Le point de départ de notre réflexion se basait sur l’idée que certains praticiens en planning pratiquaient des avortements au-delà du délai légal. Néanmoins, au fil de nos recherches et discussions, nous avons pris conscience que les délais légaux d’interruptions de grossesses étaient respectés par les plannings. Non pas par conviction, mais bel et bien par manque de moyens. La question qui se pose et qui s’inscrit dans la suite des débats politiques actuellement sur le devant de la scène est la suivante: le fait d’autoriser légalement les IVG au-delà du délai des 12 semaines sera-t-il suffisant? Il nous semble évident que ce premier pas est indispensable et primordial, néanmoins il est capital que les fonds permettant de mettre des formations en place ainsi que des moyens médicaux pour pratiquer ces interventions soient débloqués. La passation de cette nouvelle loi est donc le premier jalon vers l’augmentation du délai de l’IVG, mais cette progression ne pourra se faire sans un suivi financier et technique.

 

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