Enseignement au temps du Covid: les jeunes à l’abandon
Depuis des semaines, l’enseignement hybride est de mise pour les élèves du secondaire. Entre distanciel et présentiel, ce dispositif offre certains avantages, mais a aussi surtout beaucoup de défauts. Diverses études ont déjà démontré que ce nouveau cadre entraîne avec lui l’augmentation d’élèves en décrochage scolaire. Charge de travail, manque de matériel pour suivre au mieux les cours en ligne, lien prof-élève qui s’étiole… Les inégalités scolaires auparavant ancrées dans le paysage de l’enseignement belge francophone se confirment encore une fois et les élèves, les plus fragiles, en pâtissent grandement.
Après plusieurs mois de distanciation physique avec leur environnement scolaire lors du premier confinement, les élèves du secondaire ont depuis septembre pu retrouver les bancs de l’école… Enfin, presque. Les élèves de la deuxième à la sixième secondaire étaient tenus depuis quelques mois de suivre un régime qui les force à conjuguer leur scolarité entre les cours en présentiel pour une partie de la semaine et en distanciel pour l’autre partie. Les jeunes ne sont pas les seuls à être concernés par ces changements, les écoles aussi s’organisent comme elles peuvent, en rencontrant souvent des problèmes d’organisation, un manque de matériel, situation renforçant les inégalités du système scolaire francophone. Cette forme hybride d’enseignement fait planer beaucoup de doutes et d’incertitudes parmi le corps enseignant, en voyant tant de jeunes dans la nature, et la situation épidémiologique actuelle n’arrange rien à l’affaire…
Le SOS des familles
Qui dit cours à la maison, dit aussi des parents qui doivent endosser un nouveau rôle: celui de professeur particulier. «Avant même de parler d’enseignement à distance, le premier confinement a d’abord été marqué par les difficultés rencontrées par les parents eux-mêmes, notamment sur la gestion du temps et de l’espace lorsqu’on doit vivre tous ensemble sous le même toit», souligne Claude Prignon, de la Coalition de parents issus de milieux populaires soutenue par le mouvement «ChanGement pour l’égalité». À ses yeux, la situation reste pour le moins chaotique. Dans une étude menée par la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (Fapeo), 77,6% des jeunes du secondaire sollicitent l’aide de leurs parents pour réaliser le travail à domicile.
Le transfert de la charge d’enseignement sur les parents est un sujet qui fâche. Une mère nous confie: «Concernant les travaux scolaires, je n’ai aucune difficulté à m’en occuper, mais je trouve cela simplement honteux! Non seulement cela crée des inégalités entre enfants, pas tous logés à la même enseigne, mais c’est un transfert inadmissible de la charge d’enseignement. Ici, je supervise, explique et corrige… Me voici institutrice, en plus de toutes mes autres nombreuses casquettes!» Outre le manque d’accompagnement, c’est le manque de matériel qui est plus qu’alarmant. Les familles populaires sont d’ailleurs celles qui rencontrent le plus de difficultés dans la gestion du mode distanciel: a-t-on du wi-fi à la maison? Un ordinateur ou plutôt des ordinateurs au pluriel? Les logiciels adéquats? Nombreux sont les géniteurs qui ne sont pas familiers avec l’utilisation d’un PC.
Des écoles dépassées
La marge de manœuvre des établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles est dictée par les circulaires du ministère de l’Enseignement. Celles-ci décrivent notamment la manière dont l’école doit gérer les activités d’apprentissage en lien avec la situation sanitaire. La priorité du premier confinement était d’assurer un lien continu entre famille et école. Pour les élèves du fondamental et du secondaire, l’ordre était d’approfondir la matière déjà vue en classe, ce qui implique la suspension du programme d’enseignement. Le suivi fut alors ficelé au moyen de travaux à remettre. Pour Jean-Luc Nsengiyumva, conseiller auprès du délégué des Droits de l’enfant, cette situation a suscité de nombreuses plaintes de la part de parents, mais aussi d’enseignants. «Il fallait que les élèves continuent à travailler, mais c’était impossible à contrôler. Nous avons observé que certaines écoles ont réussi à gérer au mieux le suivi des enfants; d’autres, pour ne pas dire la plupart, s’étaient effacées complètement.» Pour la rentrée, puis au fil des mois au gré de la situation sanitaire, les établissements ont énormément souffert pour permettre le retour des élèves dans les classes. Chaque semaine, de nouvelles informations tombaient, parfois contradictoires, compliquant encore plus la donne. En plus des obstacles organisationnels, les écoles ont également dû faire face à un taux d’absentéisme assez élevé selon les structures. Des absences qui concernent tant les écoliers que le corps enseignant.
Pour Aline, professeure de latin en secondaire, cette situation a creusé les inégalités sociales, «mais il faut aussi accepter qu’on ne sache pas toujours lutter contre cela». Selon l’enseignante, l’école est peu armée pour se battre contre des inégalités qui lui sont externes et contre lesquelles le monde politique lutte parfois peu lui-même. «Le principal en tout cas est de rassurer les parents comme leurs enfants. Ce n’est pas simple tous les jours, mais c’est notre job.»
Le grand dilemme
«Qu’auront réellement appris les enfants durant cette période?»: c’est la grande question que se posaient tous les enseignants à la rentrée scolaire, comme Aline, et c’est celle à laquelle ils continuent de songer. L’enseignement belge francophone est déjà marqué en temps normal par un fossé entre les compétences demandées par l’école et les acquis des élèves. Le confinement et ce qu’il a amené avec lui comme méthodes d’apprentissage n’ont fait qu’accentuer ce gouffre.
Un gouffre que la remédiation doit souvent combler. Les écoles de devoirs et de soutien scolaire sont déjà en temps normal submergées face au nombre croissant d’élèves en difficulté, voire en situation de décrochage. Ces structures déplorent, elles aussi, cette situation et les restrictions auxquelles ces services d’action à destination des jeunes sont soumis. «On nous demande d’accueillir seulement deux ou trois élèves par local, c’est de la folie! Ce n’est pas suffisant pour répondre à une centaine de jeunes qui ont besoin de notre aide», confie Ahmed, coordinateur au Centre de jeunes d’Anderlecht.
S’ils sont nombreux à estimer que l’enseignement hybride n’est pas la meilleure solution sur le long terme, fermer les écoles est la pire des décisions. Des budgets ont été alloués pour permettre aux enfants les plus en difficultés de se remettre sur les rails, mais ces derniers restent largement insuffisants. La solution semble dès lors toute faite: accompagner durablement les enfants au niveau où ils se trouvent actuellement, et en finir avec l’urgence et le bricolage. Cet idéal semble toutefois encore loin à l’horizon en Fédération Wallonie-Bruxelles…
EN SAVOIR + : Lire l’article d’Alter Échos, « Chagrin d’école», Jassogne P., 17 décembre 2020 https://www.alterechos.be/chagrin-decole/