Handicap: à quand une école pour tous?
Le décret d’intégration adopté le 5 février 2009 par le parlement de la Communauté française prévoit des dispositions pour intégrer les élèves en situation de handicap quel qu’il soit dans des établissements de milieu ordinaire. Mais, dans les faits, ils sont peu nombreux à avoir accès à ces écoles. Aujourd’hui en Belgique, et encore plus en Fédération Wallonie-Bruxelles, les élèves porteurs d’un handicap sont majoritairement scolarisés dans l’enseignement spécialisé. Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits des enfants et enseignant, nous livre ses réflexions sur l’école inclusive en Belgique.
Quels que soient le niveau ou le type d’enseignement, les directions d’école et autres acteurs de l’enseignement ont l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables[1] pour les élèves avec un handicap afin d’intégrer tous les enfants. Un échec?
On ne peut pas dire que cela ne marche pas. En réalité, cela marche, mais relativement peu. Il y a un peu plus de 3.000 enfants intégrés dans l’enseignement ordinaire. Par rapport au nombre d’enfants scolarisés dans l’enseignement spécialisé (ES), cela représente 8%. Le problème est la répartition. Si de plus en plus d’enfants avec des «dys» ou ayant un handicap «social» – issus de quartiers populaires, voire de la grande pauvreté – bénéficient de l’intégration, peu d’enfants porteurs d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble comportemental peuvent en profiter.
Quels sont les freins à cette intégration?
Il y a d’abord des freins institutionnels. L’école n’est pas faite pour les élèves qui ont des difficultés, qu’elles soient physiques, intellectuelles, comportementales ou sociales. Notre système pratique la sélection à outrance et élimine ceux qui ont des difficultés, de manière progressive, en partant des plus fragiles. Il est évident que l’enfant porteur de handicap est mal placé. Ce sera le premier à être réorienté. Dès lors, les écoles, sachant qu’il n’a aucune chance chez eux, refusent son intégration. Il existe aussi des freins pédagogiques. Les enseignants prétendent n’être pas formés pour enseigner à des enfants à besoins spécifiques. On entend aussi des arguments de type structurel de la part des établissements: pas d’ascenseur, pas de bancs adaptés. Souvent le refus ne repose sur aucun argument.
Et le frein financier? L’inclusion scolaire engendrant des coûts supplémentaires…
Oui, bien entendu. Chaque élève bénéficie de 4 heures d’accompagnement par un enseignant de l’enseignement spécialisé. Cela a un coût: 1/6 de salaire d’enseignant. À charge de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais il faut savoir que l’enseignement spécialisé coûte quatre fois plus cher que l’enseignement ordinaire. Il y a donc des moyens à y récupérer pour permettre l’intégration scolaire.
Quelle est la différence entre l’inclusion et l’intégration?
L’intégration est l’accueil de l’enfant à besoins spécifiques dans une classe de l’enseignement ordinaire. La classe s’adapte à l’enfant et l’enfant s’adapte à la classe et à l’école. L’école fait une différence entre les enfants en permettant des aménagements raisonnables à un enfant spécifique. L’enfant reste donc un enfant «handicapé» mais intégré. Sa différence reste «marquée».
Une école inclusive est une école dont la spécificité pédagogique permet l’accueil de tous les enfants, quelles que soient leurs différences. L’école est adaptée à tous les enfants et les enfants ne doivent pas s’adapter à l’école. L’école ne fait pas de différence entre les enfants, chacun bénéficiant d’aménagements raisonnables en fonction de ses besoins. L’enfant à besoins spécifiques devient un enfant comme les autres. Ce droit à l’éducation inclusive est reconnu dans la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées dont l’article 24 souligne que «le droit à l’éducation est en fait le droit à l’éducation inclusive».
Quels facteurs contribuent-ils à la réussite d’une intégration?
Une intégration n’est jamais assurée d’être une réussite. Elle peut fonctionner pendant quelques années, puis se bloquer. À ce moment, il faut la repenser ou se tourner vers une intégration dans l’enseignement spécialisé.
C’est la volonté de toutes les parties en présence qui va permettre la réussite d’une intégration. De même, la mise en place d’aides (accompagnement de l’ES via des enseignants, logopèdes, kinés,… ou via des services d’aide à l’intégration). De même, la collaboration avec les familles est une priorité. Et, surtout, la croyance de tous les acteurs dans les capacités de l’enfant.
Quels leviers faudrait-il actionner pour que l’école soit vraiment inclusive?
Il faut changer les mentalités. Cela ne se fait pas en une décennie. Il faut plus de temps encore. Nous espérons que les expériences d’intégration percolent. En 2010, il y avait 1.000 enfants intégrés. En 2015, ils étaient 3.000. Cela progresse lentement, mais cela progresse.
Enfants extraordinaire à l’école ordinaire
Au sein de l’établissement Saint-Paul, dans la commune de Mont-sur-Marchienne, une classe spécialisée est incluse dans une école ordinaire. Fruit d’une collaboration entre un directeur enthousiaste et une maman qui s’est battue pour que son fils, porteur de trisomie 21, bénéficie d’une intégration identique à celle des autres enfants.
«Comme beaucoup de parents, je souhaite le meilleur pour mon enfant, à savoir qu’il soit le plus heureux, le plus épanoui et qu’il aille chercher le meilleur de lui-même. Dès les premières années de sa vie, j’ai souhaité que Luther ait l’environnement le plus ordinaire possible tout en l’adaptant à ses besoins», explique Carmela Morici, maman de Luther, garçon de 5 ans porteur de trisomie 21. Elle a décidé d’ouvrir une classe d’inclusion pour Luther et ses copains, dans une école ordinaire. L’établissement Saint-Paul, dans la commune de Mont-sur-Marchienne, a accepté l’idée.
Les enfants «extraordinaires» y sont encadrés dans une classe par deux institutrices, une logopède, une puéricultrice et une éducatrice. «Luther a un encadrement adapté à ses besoins, fourni par l’enseignement spécialisé; tout en étant baigné dans la vie telle qu’elle est avec la richesse de la mixité, des échanges mais aussi ses difficultés, sa rapidité, ses défis fournis par l’école ordinaire», se réjouit sa mère, un peu plus d’un an après l’ouverture. Mener ce projet à bien n’a pas été facile. Notamment pour convaincre d’autres parents d’inscrire leur enfant dans le projet. «Ce ne fut pas aussi aisé que je le pensais. Le côté innovant, inclusif, a effrayé pas mal de parents. Heureusement, nous avons trouvé le nombre suffisant de parents pour se lancer dans l’aventure et je peux avancer que personne ne le regrette», explique Carmela.
Julien Petyt, directeur de l’école Saint-Paul, confirme ces difficultés: «C’est quelque chose de nouveau qui n’est pas très connu, que cela soit pour les enseignants ou pour les parents, qui au départ étaient tous méfiants à l’égard de ce projet, pour cause de méconnaissance ou par peur. Il a donc fallu les rassurer et se renseigner sur le sujet avec des experts en la matière.
C’était une étape importante dans la mise en place du projet.» Mais le directeur de l’établissement ne regrette rien. Et rêve de voir ce genre d’initiatives se multiplier: «Une école inclusive peut se faire vraiment partout, que cela soit à Bruxelles ou à Mons. Il n’y a pas de raison que cela ne puisse pas se faire avec tous types d’enfants, de handicaps, de difficultés.»
L’un des défis de Carmela Morici, qui a aussi fondé Alternative 21, association qui œuvre à la création d’une société «handicap inclus», consiste aujourd’hui à trouver des sources de financement pour garantir la poursuite du projet.