Homosexuels empêchés de donner du sang, un mal nécessaire ?
Durant l’été 2017, un changement dans la loi sur le don de sang est approuvé. Celui-ci permet aux homosexuels de donner leur sang après une période d’abstinence de 12 mois. Ce changement est considéré par beaucoup comme une avancée car, auparavant, les homosexuels étaient purement et simplement exclus.
Dans le cas présent, le droit à ne pas être discriminé peut sembler en conflit avec un autre droit constitutionnel : le droit à la santé. Il est évidemment essentiel que la population vivant en Belgique soit garantie de la sécurité du traitement du sang. Le législateur doit dès lors tout mettre en œuvre afin de fournir du sang et des produits dérivés sains. Il y a donc lieu de savoir si les dispositions de cette loi de 2017 sont effectivement la meilleure manière de garantir cet objectif de sécurité sanitaire.
Des restrictions en évolution
Lorsque l’interdiction de don de sang fut mise en place au début des années 80 en Belgique, elle fut considérée par beaucoup comme compréhensible, même par la communauté LGBTQI+, selon les dires de Thierry Delaval. Ce dernier est l’ancien président et cofondateur d’Arc-en-ciel Wallonie, c’est à ce titre qu’il a participé aux tables-rondes de 2010 et de 2016. La méconnaissance du VIH et l’ampleur de l’épidémie de la maladie ne laissaient pas d’autres choix. Les années ont passé et, plus de trois décennies plus tard, ce virus, bien qu’encore méconnu sous bien des aspects, est maintenant détectable grâce à des tests performants.
La politique belge en matière de santé et, plus précisément, en matière de don de sang, a également évolué. Mais le don de sang reste très restrictif pour les Hommes qui ont des relations Sexuelles avec d’autres Hommes (HSH). En effet, la dernière modification de la loi prévoit une exclusion de 12 mois pour les HSH après le dernier contact sexuel avec un homme. Étant donné qu’il s’agit de la seule exclusion comprenant une exigence d’abstinence sexuelle d’aussi longtemps que 12 mois, il s’agit de se demander si elle ne correspond pas à une discrimination envers une partie de la population.
Les justifications de cette exclusion sont la protection du receveur par rapport au VIH, une homogénéité dans les délais et la concordance avec les directives européennes. Il y a lieu ici de se référer à la directive européenne sur le sang ainsi qu’à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 29 avril 2015 dans l’affaire Léger, qui prescrit que dans “le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.”
Frilosité pour la non-discrimination
L’engagement des politiques à modifier la loi afin de résorber la discrimination qu’elle induit envers les HSH, bien que porté énergiquement par différents partis, est malheureusement frileux.
Laurette Onkelinx (PS) par exemple a, en 2010, lorsqu’elle était ministre des Affaires sociales et de la Santé, entamé des travaux pour une modification de la loi, en consultant des experts et des représentants d’associations LGBTQI+. Ceux-ci n’ont pas abouti selon Thierry Delaval bien que la ministre se soit montrée volontaire dans ses déclarations.
Maggie De Block (OpenVLD) avait, elle, annoncé en 2016 qu’elle «prévoyait d’ouvrir prochainement le don du sang aux HSH». Si en première lecture on peut penser que la ministre a concrétisé ses intentions, il s’avère que, dans la pratique, les conditions d’accessibilité imposées aux HSH équivalent quasiment à une interdiction permanente à leur encontre. En effet, le critère d’abstinence totale de 12 mois ne rend cette ouverture effective que pour une très petite partie de la population.
Mais qui sont les HSH?
La terminologie HSH est issue d’un concept simplifié permettant de produire des statistiques. Vincent Huberland, médecin généraliste qui fut mandaté par l’asbl Ex-Aequo pour participer aux débats sur le don de sang, explique que ce terme regroupe les personnes qui sont dans un réseau et qui auraient plus de risques potentiels d’avoir des partenaires sexuels étant contaminés par le VIH. Cette catégorie englobe tous les hommes ayant ou pouvant avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes. Elle inclut donc les homosexuels, entre autres.
Une question de santé teintée de morale
Une exclusion temporaire peut être normale. C’est le cas pour les personnes qui ont voyagé dans la partie subsaharienne de l’Afrique, pour qui le délai est de 4 mois. Mais pourquoi 12 mois pour les HSH? Selon plusieurs sources, la raison serait d’ordre moral.
Les débats sur cette question ont donné lieu à une bataille d’une vision contre une autre. Les préjugés dans le monde médical concernant les HSH sont toujours d’actualité. La question du don de sang n’est, selon le Dr V. Huberland, que la face cachée de l’iceberg. L’ignorance et la peur restent des éléments favorisant la discrimination du public HSH. Ce qui amène à penser que la restriction légale est plus symbolique qu’autre chose et que l’homophobie est plus ou moins explicite dans le monde médical. Le Dr V. Huberland explique qu’«ayant suivi les débats, il y a eu clairement de la morale dans les débats et dans la prise de décision».
Les échanges ont apparemment eu lieu entre en deux camps principalement : d’un côté, un lobbying de la communauté LGBTQI+ et en face des experts du milieu scientifique. Le Dr V. Huberland rapporte des propos à teneur homophone qui n’étaient en rien étayés scientifiquement : «Comme par exemple qu’il y a 20% de porteurs du VIH chez les HSH, avec des référence à des populations fréquentant des saunas au Portugal. C’est une utilisation très homophobe de la science, c’est une utilisation homophobe des chiffres, donc ce n’est pas une démarche scientifique».
À la question de savoir s’il ne s’agit pas d’une conséquence d’une homophobie en réaction aux positions de la communauté LGBTQI+, ce généraliste répond qu’ «il y a l’homophobie de certains scientifiques contre un positionnement communautaire qui a du mal à prendre en compte une dimension des problèmes de santé publique. Je pense que derrière ça, il y une autre dimension. La communauté a toujours à l’heure actuelle beaucoup de difficultés à considérer qu’il y a certains problèmes de santé spécifiques. Ceci est dû entre autres à la connotation morale autour du VIH qui existe depuis le début. Donc dire qu’il y a plus de VIH chez les HSH, ça peut être perçu comme une déclaration homophobe, alors que l’on peut le voir autrement. Pour moi c’est un signe du fait que les HSH sont encore victimes d’homophobie et sont fragilisés en tant que population, car ils accèdent moins facilement aux dépistages pour certains, ils ont plus de mal à accéder à la prévention, à la protection, etc».
Ces affirmations amènent à remettre en question les données et explications qui étayent la réglementation de 2017, étant donné qu’elles sont biaisées par des considérations morales implicites.
Les connaissances scientifiques actuelles
À l’heure actuelle, toutes les maladies transmissibles par le sang sont détectables quatre mois après une prise de risque. C’est d’ailleurs cette période d’interdiction de don qui est imposée à la grande majorité de la population belge. D’autre part, en matière de technique médicale, M. Delaval précise qu’«il y a eu un grand saut en avant dans la qualité des tests au début des années 2000 (…), la Belgique les a adoptés en 2002 en utilisant une nouvelle génération de tests sur le sang, les tests génomiques ». De plus, l’ensemble des dons sont systématiquement testés.
Dès lors, au vu de la qualité des tests de dépistage et des périodes fenêtres des maladies transmissibles par le sang qui sont applicables à tout le monde, il y a lieu de se demander sur quel élément le législateur s’appuie pour opérer une distinction envers les HSH dans la collecte de sang. La Croix Rouge, principal organisme d’organisation de dons de sang en Belgique, n’a pas souhaité répondre aux sollicitations à l’occasion de cet article. D’autre part, le Dr V. Huberland explique que les études statistiques permettant de cibler les HSH sont généralement faites dans des lieux de rencontres sexuelles comme les saunas, les darkrooms ou encore les lieux de pratiques BDSM. Il est alors naturel de s’interroger sur les données statistiques et leurs utilisations.
Enfin, il est intéressant de constater que ce médecin déclare avoir été surpris par le peu d’expertise des scientifiques et des experts conviés lors des tables-rondes auxquelles il a participé en 2017.
Quelle absence de données?
Dans son rapport concernant le VIH en Belgique à l’occasion de la table-ronde organisée par Maggie De Block en mai 2016, l’Institut scientifique de Santé Publique (ISP ci-après) affirme que son estimation est limitée par «l’absence de données permettant de prévoir l’observance chez les HSH en cas de changement des critères d’éligibilité». Il est étonnant que l’ISP dise ne pas avoir de données suffisantes en la matière alors que le Royaume Uni , par sa loi du 27 novembre 2017, autorise le don de sang par les HSH après seulement 3 mois d’abstinence. Il est surprenant que deux pays européens, adoptant une modification de leur loi concernant le don de sang la même année, n’arrivent pas aux mêmes conditions d’admission car l’un affirme ne pas avoir de données scientifiques suffisantes quand son voisin les a visiblement. Le partage des études et des analyses au sein de la communauté scientifique est tel que cette affirmation est difficilement compréhensible.
Alors que le Danemark a également adapté sa loi en la matière de telle sorte qu’à partir de cette année 2019 il ne sera plus demandé que 3 mois d’abstinence aux HSH désirant faire un don de sang, il est à espérer que le législateur belge, lors de la révision de la loi prévue cet été, aura cette fois-ci à sa disposition suffisamment de données scientifiques pour uniformiser les périodes d’abstinences prescrites aux donneurs de sang.
Conclusion
Si l’exclusion des HSH du don de sang n’est peut-être pas la première des discriminations que la population LGBTQI+ subit en Belgique, il n’en reste pas moins que cela constitue un déni de citoyenneté à leur encontre. Car, si le don de sang n’est certes pas un droit, il est un acte citoyen; ne pas y être autorisé est alors un refus aux personnes d’être reconnues comme tout autre individu.
La Croix-Rouge vend le don comme « une expérience conviviale qui permet de se sentir utile ». Ce sentiment d’utilité ainsi que la participation citoyenne sont des éléments importants dans la construction identitaire de chaque individu. Donc autoriser les HSH à donner leur sang selon des critères justes et équitables permettrait une reconnaissance de leur identité citoyenne.
Selon les dires du Dr V. Huberland, l’homophobie passée et actuelle ainsi que la stigmatisation des HSH et du VIH ont joué un rôle déterminant dans la connotation morale des débats sur le don de sang. Il est alors à déduire qu’un débat relevant de la médecine et des statistiques n’est pas automatiquement impartial dans les décisions.
Ainsi, tout est une question d’ordre de priorité, celle de la sécurité transfusionnelle prime. Unia, institution publique indépendante qui lutte contre les discriminationset défend l’égalité des chances, l’affirme tout en précisant qu’elle aimerait que la loi soit le moins excluante possible, tout comme elle préconise de futures améliorations.
En conclusion, la révision de la loi, dans le sens d’une uniformisation des critères d’éligibilité permettrait une égalité des genres et des orientations sexuelles dans le don de sang. Ceci en ouvrirait l’accès pour tous, avec des restrictions non discriminatoires. Il appartient maintenant au législateur de tout mettre en oeuvre pour favoriser un monde plus équitable pour tous au travers, notamment, de conditions d’éligibilité pour le don du sang plus incluantes et moins entachées de considérations morales.