06/06
2024
par la rédaction

Interviews et photographies – Atelier Photo 2024

Myriam Amrani (Parti Socialiste – Présidente du CPAS de Saint-Gilles)
Être une femme en politique, c’est faire preuve d’audace

Interview et photographie par Emilie Rugema

Qu’est-ce qu’être une femme issus de la diversité en politique en 2024 ?

Être une femme en politique, c’est faire preuve d’audace. C’est s’autoriser à prendre une place. Alors aujourd’hui, c’est vrai que les choses évoluent mais je sais que, par le passé, je ne m’autorisais pas à y aller.

Est-ce que vous avez l’impression d’être parfois mis dans une case femme/diversité, au détriment et avant les valeurs que vous portez et défendez?

Oui il y a des cases, mais avec ma trajectoire de vie et mon cheminement à la fois militant et intellectuel, « j’assume ces cases ». Donc oui je suis une femme, oui j’ai la couleur, j’ai mes boucles etc. Avant d’être impliqué en politique,

vous sentiez-vous assez représentée ?

Il y a quand même des figures dans lesquelles je me reconnaissais au parti socialiste. Donc oui, il y avait en tout cas des positionnements, des actions qui avaient été porté, des lois faites sur la question anti-discrimination.

Quels sont les obstacles auxquels vous avez dû faire face dans votre carrière ?

Je suis issue d’un milieu populaire et donc sur un plan socio-économique, il y avait un fameux obstacle. Quand on vit dans un logement qui n’est pas toujours optimal en termes d’espace mais aussi de confort, pour réussir à l’école, c’est plus compliqué. Ce sont autant d’obstacles qui ne sont pas toujours visibles liés à des difficultés économiques. Mais aussi des difficultés sociales avec la problématique du genre. En tant que femme, il faut pouvoir dire « non. J’ai quelque chose à dire, Je ne suis pas juste une poupée, je me refuse d’en être une ». Et puis quand on est d’origine maghrébine de cultures musulmanes, il peut y avoir d’autres obstacles. Mais je crois que c’est important de se dire « il n’y a pas que des obstacles », cependant il ne s’agit pas de minimiser ces obstacles. Il faut aussi se demander ce qu’on a comme ressource ». J’ai eu ma mère comme soutien, comme ressource. En réalité, il y a différentes ressources telles que l’amour et cela n’est pas rien dans une vie surtout quand la santé est là.

A propos de la diversité en politique, quels sont les progrès et évolutions dont vous voudriez être témoin ?

En termes de diversité, ça a évolué par rapport à avant. Il faut quand même saluer le travail des pionnières. Les nouvelles générations semblent aller dans le bon sens. On aura vraiment évolué lorsque nous n’aurons plus besoin de spécifier dans telle ou telle case une personne se trouve.

 

Barbara Trachte (Ecolo – Secrétaire d’Etat à la Région de Bruxelles-Capitale, chargée de la
Transition économique et de la Recherche scientifique)

« Être une femme issue de la diversité, ça reste une anomalie en politique”.

Interview et photographie par Lisa Pradines et Romane Jallut

Donc par rapport à notre projet, le thème c’est vraiment visé sur la diversité en politique. Et par rapport à la deuxième question, c’est ‘qu’est-ce qu’être une femme issue de la diversité en politique en 2024?’

Être une femme issue de la diversité, ça reste une anomalie. Il se trouve qu’en plus je suis une femme ministre de l’économie, et c’est assez rare dans les mondes économiques déjà de voir des femmes, surtout des femmes jeunes et encore plus des femmes jeunes ET d’origine étrangère. Pendant la période de crise, j’étais non seulement la seule femme, mais aussi la seule femme d’origine étrangère et la plus jeune aussi, lors des réunions. Donc, ça reste une anomalie. Je suis souvent en contact avec des hommes blancs, vieux, qui pensent mieux s’y connaître. C’est fréquent qu’ils m’expliquent ce que je dois faire. Ce n’est pas qu’ils me trouvent bête, c’est juste tellement ancré en eux qu’ils ne s’en rendent même pas compte.

Avez-vous l’impression d’être parfois mis dans une case « femme/diversité » au détriment et avant les valeurs que vous portez et défendez?

C’est-à-dire qu’être une femme d’origine étrangère, pas vieille, écologiste ET ministre de l’économie, c’est un tout. Ce sont à la fois les valeurs que je porte et la personne que je suis, qui sont assez dissonants avec le mainstream de l’économie. Le tout est très dissonant. Les interlocuteurs économiques comprennent : je suis la ministre de l’économie, j’ai été élue, j’ai un programme politique qui est clair. On va plutôt m’interrompre, là où je suis convaincue que si j’avais été un homme blanc, on ne l’aurait pas fait.

Avant d’être impliquée en politique, vous sentiez-vous assez représentée?

Non, je ne me sentais pas assez représentée. Si j’estimais que tout allait bien en politique, alors je n’en
aurais pas fait. Tout simplement.

Quels sont les éventuels obstacles auxquels vous avez dû faire face dans votre carrière ?

Il y a plein d’obstacles dans une carrière politique. C’est public, donc on est confrontés à des gens qui nous critiquent et c’est très inconfortable. Ça l’est encore plus lorsqu’on est une femme, et en plus dans un secteur qui n’est pas très courant, non seulement pour les femmes mais aussi pour les écologistes. C’est le syndrome de l’imposteur…Outre les obstacles externes, il y a aussi des choses que j’ai intériorisées. Donc tous les jours il faut se dire « si, si, tu as le droit d’être là, et c’est légitime, tu peux le faire».

À propos de la diversité en politique, quels sont les progrès et évolutions dont vous voudriez être
témoin?

Les quotas sont indispensables, mais j’aimerais bien qu’un jour on puisse ne plus en avoir besoin. Je souhaiterais que les choses se fassent naturellement.

 

Angelina Chan (MR – Conseillère communal Schaerbeek)

« Ils ont essayé de me faire passer pour une idiote parce que je suis une femme et parce que j’ai voulu être créative ».

Interview et photographie par Romane Jallut et Jeanne Van Landuyt

Qu’est-ce qu’être une femme issue de la diversité en politique, en 2024 ?

Il y a peu de personnes asiatiques en politique Belge. Les Chinois sont comme des caméléons, on s’adapte très rapidement au pays dans lequel nous sommes. Par exemple, on m’a mis dans la liste plus parce que j’étais une femme et non pas parce que je suis asiatique. Donc j’ai plus subi des discriminations en tant que femme qu’en tant qu’asiatique.

Avant d’être impliquée en politique, vous sentiez-vous assez représentée ?

Pas du tout. Mais d’un côté, je ne cherchais pas à être représentée par une tête asiatique, je cherchais plus des personnes qui sont comme moi, avec les mêmes valeurs. Si je devais chercher quelqu’un pour me représenter, alors je chercherais à être représentée par une femme.

Quels sont les éventuels obstacles auxquels vous avez dû faire face dans votre carrière ?

Déjà, je ne suis pas une « fille de … », mes parents viennent du monde de la restauration donc j’ai vraiment dû me construire toute seule. J’ai dû vaincre ma timidité et protéger mon amour propre. Sur Facebook, je recevais des insultes et même avant les réseaux je recevais des mails où l’on me critiquait ; par exemple, j’ai déjà reçu des propos tels que : « mais pour qui tu te prends de te présenter [en politique], tu essaies de faire la jolie ou quoi ? ». En 2019, j’avais fait un flyer avec « Ma meilleure recette pour Bruxelles » et de l’autre côté « Ma meilleure recette de poulet curry » et ils ont uniquement retenu la recette poulet curry. Ils ont essayé de me faire passer pour une idiote parce que je suis une femme et parce que j’ai voulu être créative.

A propos de la diversité en politique, quels sont les progrès dont vous voudriez être témoin ?

J’ai toujours eu un problème avec le terme diversité, je ne veux pas qu’on me juge par rapport à mes origines donc si je devais vraiment réussir en politique, c’est pour les idées que je défends et pour les choses que je fais.

 

Leila Lahssaini (PTB – Députée au Parlement Bruxellois et conseillère communal à Schaerbeek)

« Il ne suffit pas d’avoir quelques femmes d’origines étrangères pour représenter la diversité. Il est essentiel que tous les niveaux de la société soient représentés. »

Interview et photographie par Adonaï Ilunga Mukuluabo et Romane Jallut

Qu’est qu’être une femme issue de la diversité en politique en 2024 ?

La diversité a toujours été présente dans ma vie, mais ce n’est pas nécessairement quelque chose qui me préoccupe au quotidien, car cela fait partie intégrante de moi, mon vécu, je ne pourrais jamais le changer, et c’est ok. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’elle me définit. Ce sont souvent les autres qui perçoivent ma diversité de manière plus prégnante. Je me considère d’abord comme une Bruxelloise, et en parcourant mon chemin, oui j’ai réalisé les obstacles auxquels nous sommes confrontés mais c’est plus nos parents venus dans ce pays, dans une autre époque qu’ils sont réellement concernés. Je lutte également pour que ces obstacles ne soient plus une réalité pour les générations futures.

Avez-vous l’impression d’être parfois mis dans une case « femme/diversité » au détriment et avant les valeurs que vous portez et défendez ?

Oui, parfois, je suis placée dans une case « femme/diversité », notamment lorsqu’ils se basent sur des élèments tels que mon nom de famille, ma personne, certaines de mes actions. Ce qui est important, c’est de pouvoir dépasser ces étiquettes et de travailler à changer les mentalités pour progresser sur les sujets qui nous concernent.

Avant d’être impliquée en politique, vous sentiez-vous assez représentée ?

Non, je ne me sentais pas vraiment représentée, mais ce n’était pas seulement en tant que femme. J’avais plutôt le sentiment d’un manque de représentation généralisé. Je pense qu’il est essentiel que les politiciens reflètent réellement la diversité de la population, mais trop souvent, ils proviennent de milieux privilégiés.

Quels sont les éventuels obstacles auxquels vous avez dû faire face dans votre carrière ?

Comme beaucoup de gens, j’ai rencontré des obstacles au début de ma carrière. Il y a eu une phase d’apprentissage nécessaire pour comprendre les institutions et les rouages du métier, et cet apprentissage ne cesse jamais vraiment. Plus tard dans ma carrière, j’ai parfois ressenti que j’étais marginalisée, ou que l’on me confiait des tâches moins gratifiantes, plus liées à l’organisation qu’au travail de fond. Ce sentiment n’est pas spécifique à la politique, mais je pense que beaucoup ont connu ce genre de situation. Cependant, je ne considère pas que ma vie soit marquée par des difficultés extrêmes. J’ai eu de la chance dans ma vie professionnelle, mais bien sûr, il y a toujours des défis à relever. Parfois, être jeune et en plus en politique peut rendre ces défis encore plus difficiles à surmonter.

A propos de la diversité en politique, quels sont les progrès et évolutions dont vous voudriez être
témoin ?

En ce qui concerne la diversité en politique, j’aimerais voir davantage de femmes issues des classes populaires s’engager. Bien sûr, il y a des femmes au parlement bruxellois, mais je remarque qu’il y a un manque de représentation des femmes issues du peuple, telles que les aides ménagères, les infirmières ou les institutrices. Ces femmes qui travaillent sans relâche, où sont-elles dans la sphère politique ? Je ne les vois pas suffisamment représentées. Il ne suffit pas d’avoir quelques femmes d’origine étrangère pour représenter la diversité. Il est essentiel que tous les niveaux de la société soient représentés. Trop souvent, les discours tendent à dévaloriser ces femmes en prétextant qu’elles ne connaissent rien à la politique, qu’elles n’ont pas fait d’études spécifiques. Pourtant, qui mieux qu’elles pourraient parler de certains sujets ? Il est temps de leur donner la parole et de reconnaître leur expertise issue de leur expérience de vie.

 

Rajae Maouane (Ecolo – Co-présidente du parti Ecolo)

«Être une femme issue de la diversité en politique en 2024, c’est déjà ne pas être nombreuses dans mon cas. »

“Il y a plusieurs façons d’incarner la diversité et moi j’incarne plusieurs types de diversité.”

Interview par Xhoana Zani et Emilie Rugema et photographie par Xhoana Zani

Qu’est qu’être une femme issue de la diversité en politique en 2024?

Être une femme issue de la diversité en politique en 2024, c’est déjà ne pas être nombreuses dans mon cas. Comme j’utilise souvent cette expression « je ne vais pas être l’arabe qui cache la forêt » dans le sens : ce n’est pas parce qu’on a une femme présidente de parti d’origine immigrée ou une ministre qu’on a gagné l’affaire ». Il faut que la classe politique et que les endroits de pouvoirs soient les plus représentatifs possible de TOUTES les diversités du pays.

Moi, je n’ai pas de diplôme universitaire par exemple. J’ai fait une haute école, on n’est donc pas nombreux non plus là-dedans. Les diversités sont diverses et variées donc. J’ai aussi grandi dans une famille où on avait un salaire pour 10 enfants avec un papa ouvrier et donc je viens aussi d’un milieu social plus défavorisé que d’autres. Il y a plusieurs façons d’incarner la diversité et moi j’incarne plusieurs types de diversité. J’étais déjà active et militante dans ma vie sans être membre d’un parti.

J’ai trouvé dans le monde politique, une façon de contribuer et de concrétiser mon engagement. Pour moi, dire que les choses ne vont pas, c’est une chose. Comment faire pour les améliorer c’est une autre chose.

Avez-vous l’impression d’être parfois mis dans une case « femme/diversité » au détriment et avant les valeurs que vous portez et défendez?

Oui bien sûr, quand je suis en interview, à chaque fois on va me poser des questions sur le foulard, sur l’abattage rituel, sur le racisme, sur l’antisémitisme – ce qu’on ne va pas demander à un homme blanc. Donc oui, bien sûr je suis mise dans une case régulièrement et bien sûr parfois au détriment de ce que je dis et de ce que j’essaie de faire passer comme message. Ça ne me dérange pas de parler de ça mais je ne suis pas là pour parler que de ça. J’ai des choses à dire sur d’autres sujets. J’assume qui je suis et les origines que j’ai ; je les porte même fièrement et je les revendique. Souvent, on me coince dans ces trucs-là, ce qui est agaçant et même sans aucun intérêt parfois.

Avant d’être impliquée en politique, vous sentiez-vous assez représentée?

La politique est très importante parce que tout est politique et tout le monde fait de la politique. Pour moi, ce qu’on choisit de manger, c’est déjà faire de la politique. C’est une bonne question puisqu’il n’y a pas beaucoup de femmes ou de modèles comme moi, des personnes comme moi. Une des personnes à laquelle je me suis très vite identifiée c’est Zakia Khattabi qui est ministre fédéral et était co-présidente à l’époque. Je m’étais dit qu’il y avait enfin des gens qui s’appellent Zakia, Fatima. Il faut plus de diversité et les institutions représentatives comme le Parlement doivent refléter au maximum la diversité de la population à Bruxelles.

Un exemple quand tu es dans une boîte, tu as le droit à te mettre en congé maternité mais quand tu es au Parlement, ce n’est pas prévu parce que justement le règlement du Parlement a été prévu à l’époque par des mecs qui ne comprennent pas la situation. Je ne sais pas si je me suis posé la question de manière consciente mais c’est clair qu’il n’y avait pas assez de gens comme moi et ce n’est pas parce que moi je suis là que je trouve que des profils comme les miens ou que les autres sont assez représentés. Il faut que les femmes ou les autres personnes qui sont un peu différentes accèdent plus à des postes à responsabilité.

Quels sont les éventuels obstacles auxquels vous avez dû faire face dans votre carrière ?

Ce sont souvent des remarques sexistes et des petites remarques racistes. Depuis que je suis présidente, on fait beaucoup moins de remarques racistes et sexistes parce que je suis présidente. Je suis la boss. J’ai aussi été confrontée au classicisme, le fait que je ne suis pas une bourge et je n’ai pas les codes des bourgeois. C’est parfois la difficulté que le monde politique ou le monde de pouvoir tels qu’ils sont faits, ne sont pas fait pour des gens comme moi. Ce n’est pas évident, il faut s’accrocher.

A propos de la diversité en politique, quels sont les progrès et évolution dont vous voudriez
être témoin?

C’est de faire en sorte qu’il y ait de plus en plus de diversité. Ce qui serait bien, c’est qu’on ait beaucoup plus de diversité, qu’on ait par exemple, une personne aveugle ou sourde qui soit ministre. Souvent je me demande si ce monde est fait pour des gens comme moi. Raja ou Fatima ou Zakia se pose la question et pourquoi un Jean-Marc, un Paul, un George ne se pose pas la question ? C’est donc parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Quand on regarde au gouvernement fédéral, les personnes qui ont démissionné ont essentiellement été des femmes. J’aimerais bien, dans les évolutions, que ces questions-là ne se pose plus pour les prochaines personnes qui sont un peu différentes, qui ne sont pas un homme blanc.

 

Lydia Mutyebele (Parti Socialiste – Echevine du Logement, du Patrimoine public et de l’Egalité
des chances.)

« Pour celles d’entre nous qui sont issues de la diversité, c’est être confronté à une double discrimination, liée à la fois au genre et à notre origine »

Interview et photographie par Adonaï Ilunga Mukuluabo

Qu’est-ce qu’être une femme issue de la diversité en politique en 2024 ?

La question fondamentale qui se pose est : qu’est-ce que signifie réellement être une femme ? Pour celles d’entre nous qui sont issues de la diversité, c’est être confronté à une double discrimination, liée à la fois au genre et à notre origine. D’une part, en tant que femme, on est souvent perçue comme moins intelligente qu’un homme. On entend souvent dire que si les femmes votent pour des femmes, il y ‘aurait plus de femmes en politique. Et pourtant, ils arrivent que les femmes elles-mêmes doutent des autres femmes.

D’une autre part, les personnes issues de la diversité font face à une montagne de préjugés : on les traite souvent de fainéantes, on les accuse d’être constamment en retard, incompétents, et parfois on va jusqu’à dire qu’ils comprennent mal le français. Par conséquent, lorsque nous arrivons en politique, ces préjugés, c’est déjà un handicap. C’est une réalité, ces stéréotypes qui nous collent à la peau impliquent que nous devons fournir des efforts dix fois plus importants que les autres, afin d’être pris au sérieux.

Avez-vous l’impression d’être parfois mis dans une case « femme/diversité » au détriment et avant les valeurs que vous portez et défendez ?

Oui, quand on nous voit occuper certaines fonctions, les gens disent : « Ah c’est probablement juste une question de quota féminin » ou d’autres diront « Oui, il fallait surement montrer un exemple de diversité » alors que nous avons des postes parce que nous sommes compétentes, et nous avons de l’expertise dans le domaine attribué, nous savons de quoi nous parlons. C’est notre engagement, notre travail qui fait la différence.

Avant d’être impliquée en politique, vous sentiez-vous assez représentée ?

Non pas du tout, il n’y avait pas de femme politique noire, ça n’existait quasiment pas. Alors à l’époque où j’étais étudiante, malgré une certaine diversité, il n’y avait pas de Lydia Mutyebele, aucune femme noire à qui je pouvais m’identifier. Mon implication à Bruxelles remonte a bien longtemps, et je suis la première femme noire à avoir un exécutif.

Quels sont les éventuels obstacles auxquels vous avez dû faire face dans votre carrière ?

On ne te prend pas en considération tout de suite, il faut constamment prouver. Un homme, par exemple, peu importe sa couleur de peau, son origine, il est directement considéré. Un homme équivaut à lui seul à l’autorité. En tant qu’échevine, tu représentes l’autorité public, quand tu arrives en poste, ton autorité est déjà contestée. Je dois sans arrêt prouver que c’est moi l’autorité publique, celle qu’on a choisie.

À propos de la diversité en politique, quels sont les progrès et évolutions dont vous voudriez être témoin ?

J’aimerais réellement voir, une diversité dans toutes les communes, en particulier en ce qui concerne la communauté africaine subsaharienne. Bien que certains membres du collège soient d’origine subsaharienne dans plusieurs communes, nous n’avons pas encore d’élus dans toutes les communes de Bruxelles. Si chaque commune pouvait compter au moins, un(e) représentant(e) subsaharien(ne), cela serait un grand progrès. Même dans l’exécutif, où il n’y a qu’une seule personne par commune, nous ne sommes pas assez nombreux.

 

Farida Tahar (Ecolo – Députée du parlement Bruxelloise et Sénatrice)

«Je me bats pour des valeurs et je crois que c’est ça qui doit être important, pas ce que je porte. C’est ce que j’ai dans la tête et pas sur la tête qui importe. »

Interview et photographie par Lisa Pradines et Jeanne Van Landuyt

Qu’est-ce qu’être une femme issue de la diversité en politique en 2024 ?

C’est une femme qui incarne toute une série d’identités. On est toutes issues de la diversité, dans son acceptation large. On vient toutes de quelque part, on a toutes des origines étrangères parce que la Belgique n’existe que depuis 1830, donc nous avons parmi nos aïeux des personnes d’origines étrangères.

Je suis très fière d’être la fille d’un homme qui s’est battu pour pouvoir offrir à ses enfants et à sa famille, une bonne situation matérielle, financière et beaucoup de tendresse et d’amour. Si c’est cette diversité que je représente, je suis fière de la porter, mais aussi de l’incarner. Je suis fière aussi de m’en servir dans le cadre de mon travail parlementaire, puisque forcément ce sont toutes des sensibilités que j’incarne, et auxquelles je suis très sensible quand je dois faire des choix politiques.

Avez-vous l’impression d’être parfois mise dans une case « femme/diversité » au détriment et avant les valeurs que vous portez et défendez ?

Je me souviendrai toujours de ces articles de presse qui avaient illustrée Farida Tahar « première députée voilée », comme si Farida Tahar était réduite à un foulard ambulant, comme si je n’étais vue qu’à travers ou par mon foulard, ce que je trouve regrettable et réducteur. Je suis tellement plus de choses, comme toutes les femmes : on porte une multitude d’identités, c’est ce qui fait notre richesse. Je me vois d’abord comme une femme politique engagée, avec des valeurs, pour porter des combats de sociétés ; pour faire en sorte qu’il y ait moins d’inégalités sociales, qu’il y ait plus d’égalité entre les hommes et les femmes, pour qu’il y ait moins de discrimination, pour que l’on puisse offrir un projet à toute cette jeunesse grandissante et qui aspire à avoir un avenir florissant, avec une volonté de vivre dignement. Je me bats pour des valeurs et je crois que c’est ca qui doit être important, pas ce que je porte, c’est ce que j’ai dans la tête et pas sur la tête qui importe.

Est-ce que vous êtes encore ciblée parce que vous portez le foulard et est-ce que ça vous arrive d’avoir des insultes, ou des gens qui ne vous regardent pas, ou qui ne veulent pas répondre à vos questions?

J’en ai toujours fait les frais. Mais j’ai décidé, depuis très longtemps, de faire fi et d’avancer malgré les obstacles. On a tous des obstacles à différents niveaux et moi c’est souvent par rapport à mon foulard. Des collègues ne m’ont pas dit ‘bonjour’ pendant deux ans, par exemple, simplement parce que je porte le foulard. Quand je suis arrivée à la cafétéria du parlement, on m’a dit « c’est réservé aux députés » ; ce n’était pas méchant, c’était le début de la législature et ils ne connaissaient pas tout le monde. Au Sénat aussi, puisque je suis la « première sénatrice voilée », c’est important de rajouter le « voilée » apparemment. Je me souviens, quand j’ai prêté serment pour la toute première fois, du poings sur la table d’un sénateur du Vlaams Belang, qui n’a pas du tout apprécié qu’une sénatrice qui porte le foulard vienne prêter serment dans un lieu aussi symbolique que le Sénat, parce que ça vient toucher à des valeurs de notre Belgique et que ça ne devrait pas promouvoir cette diversité visible. Ça fait froid dans le dos.

Avant d’être impliquée en politique, est-ce que vous vous sentiez assez représentée ?

Pour moi, c’est très large. Il y a des personnes que je pense représenter, qui ne sont pas du tout mon profil, qui ne sont pas vraiment des femmes d’origine étrangère ou qui portent le foulard. Ce sont peut-être des femmes blanches avec lesquelles on porte les mêmes valeurs, et c’est ce que j’appelle des alliés. Mais maintenant, des femmes qui me ressemblent plus parce qu’on a un parcours en commun, parce qu’on est issues de famille ouvrière, parce qu’on est avec des discriminations de base sur notre couleur de peau et notre foulard, oui. Mais j’ose espérer que je ne représente pas uniquement ce public-là. Quand je me présente aux élections, c’est pour défendre un projet de société qui touche plusieurs publics.

Est-ce qu’il y a eu des freins à votre carrière, est-ce que ça a été plus difficile pour accéder à la position où vous êtes aujourd’hui ?

Rien que dans le monde du travail. Mon CV convenait, j’avais les compétences recherchées mais mon foulard posait problème. C’était de même pour le logement. Ce qui change en politique, c’est qu’on ne peut plus rien vous dire. Vous êtes élue, représentante du peuple, on ne peut pas vous dire de mettre votre foulard au placard. Certains collègues refusaient de me dire bonjour, j’ai également subi des pressions lorsque l’on devait désigner un nouveau président du parlement. J’ai reçu un courrier en tant que cheffe de groupe, où je n’étais pas mentionnée mais bien visée, qui rappelait que le parlement devait dresser une assemblée neutre et qu’aucun signe ne devait être visible. Mais c’est de l’hypocrisie car le président est d’office attaché à un parti politique. Cette histoire m’a appris qu’il fallait choisir ses combats en politique. Mon combat c’est de faire avancer les choses, parce qu’on sait que c’est compliqué, qu’on n’y arrivera pas seule et on sait que ça va prendre du temps. Parfois il faut savoir faire un pas de côté. Ce n’est pas une défaite pour moi, c’est dur à vivre sur le moment même parce que c’est une injustice, mais il faut peser le pour et le contre. Ce n’est pas le plus important d’être présidente de l’Assemblée. Pour moi le plus important c’est d’éliminer les inégalités, trouver des solutions pour les personnes qui n’ont pas de toit ou de logement, qui dorment en rue et réduire les inégalités entre les hommes et les femmes, qui subissent encore un écart salarial important.

Quels sont les progrès ou les évolutions dont vous voudriez être témoin ?

J’estime que les communautés de personnes en situation d’handicap ne sont pas encore suffisamment représentées en politique. Peut-être pas aller jusqu’à mettre des quotas sur les listes électorales, mais je serais ravie si nos représentants politiques pouvaient représenter de manière assez exhaustive la société, représentative de la société bruxelloise en tous cas. Qu’il y ait également plus de femmes que d’hommes mais ça on y arrive tout doucement. Ce que je souhaiterais aussi, c’est que parmi les postes à responsabilité, les postes exécutifs, les ministres, on ait plus d’équité. Il y a encore beaucoup plus d’hommes que de femmes. Dans les partis politiques, les présidents sont quasi tous des hommes. On a encore du chemin à faire sur la représentativité en politique en termes de mandat à importantes responsabilités. On tend à cette égalité mais on n’y est pas encore.

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