«Les oubliés du confinement»
7 mars 2020, le journal nous annonce des milliers de morts du Covid-19 en seulement 24 heures. Les écoles, les restaurants et les bars fermaient. Le télétravail s’installait. La vie sociale n’était qu’un lointain souvenir.
Un court métrage réalisé par Benoît Maniriho et Jean Walter Rama
Nous n’étions pas conscients de la gravité de la situation, les autorités étaient complètement dépassées par les événements. L’avenir s’annonçait sombre pour nous tous. En regardant le journal de 19 h 30, comment pouvions-nous détourner le regard des malades qui mouraient par milliers, des villes entières qui étaient décimées par cette nouvelle maladie? Nos applaudissements de 20 h étaient une once de positivité dans cet amas de chaos. Le personnel médical travaillait à l’épuisement. Pour nous les plus jeunes, la peur nous guettait à chaque annonce au journal du soir. Nous apprenions que notre immunité n’était qu’un fantasme, nous pouvions aussi succomber au Covid-19.
«Lockdown»… nous avons dû chercher ce mot dans le dictionnaire. Il était sur les lèvres de chaque Belge, car l’heure était au confinement total, à la quarantaine générale. La voix de ma mère m’annonçant la nouvelle était tremblante de peur de l’inconnu. Comment cela était-il possible? Pour une fois, deux générations allaient vivre ensemble une première. Cette première allait durer une éternité.
Le mode d’emploi était inconnu et les plus astucieux commençaient à y travailler. Nous avons essayé de nous adapter, de nous habituer à cette nouvelle vie. Nous devions apprendre à cohabiter. Nous devions apprendre à nous discipliner et à étudier. Nous devions nous habituer au télétravail. Via les réseaux sociaux, nous élargissions nos cercles d’amis. Nous essayions de renforcer les liens familiaux. Ce temps de «retour à soi» nous a ouvert les yeux sur nos talents cachés. Pour ne pas sombrer dans la solitude, nous vivions tout cela comme une expérience, notre première fois.
Malgré nos premières semaines d’adaptation. Cette période devenait longue, l’insécurité se répandait et grignotait chaque parcelle de positivité que nous protégions jalousement. Nous pensions que tout ce micmac était d’une durée limitée, mais, à chaque journal du soir, la chance de voir le bout du tunnel rétrécissait. Certains commençaient à s’autoproclamer experts du coronavirus. L’épicier du coin pouvait te convaincre que le masque était inutile dans sa boutique, car il y faisait suffisamment chaud. Les politiciens prenaient leurs décisions sur des coups de pression, ce qui donnait des décisions assez contradictoires. Les économistes nous annonçaient une crise économique pire que celle après la Seconde Guerre mondiale, cela donnait froid dans le dos. Plusieurs personnes allaient perdre leurs commerces, leurs raisons de vivre, car le virus ne s’attaquait pas seulement à nos voies respiratoires, mais il s’attaquait aussi à nos finances et à notre état psychologique.
Dans notre confort familial loin de la capitale, on ne se doutait pas de ce qui se passait à Bruxelles. J’ai vite déchanté quand j’ai vu, au journal, des jeunes de mon âge placés dans un centre d’accueil, qui ne pouvaient pas durant des semaines recevoir la visite de leur famille. Cette dure réalité m’a heurté, mais à ce moment-là je ne pouvais rien faire.
Notre film nous a permis de parler d’un sujet qui avait été éraflé durant le confinement. Le but du film est de donner la parole aux éducateurs pour qu’ils nous racontent leur vécu et le vécu des enfants dont ils s’occupaient. Jusqu’au bout nous avons voulu garder l’authenticité de leurs récits. Mais quelques minutes ne peuvent effacer l’oubli dont ont fait les frais les éducateurs et les enfants placés dans les centres d’accueil. Néanmoins, quelques minutes de ce film peuvent donner un coup de projecteur sur ces oubliés du confinement.