09/05
2019
par Marie DE PENARANDA, Marie Grace KASINE, Naîm OUEZZANI-CHAHDI, Abdelhak SALLAH, étudiants du MIAS1 de l'IESSID,catégorie sociale de la Haute École Bruxelles Brabant (Bruxelles)

Logement social et handicap : « A prendre ou à laisser ! »

Des logements adaptés occupés par des personnes valides et  des personnes à mobilité réduite (PMR) obligées d’accepter du logement impraticable. La discrimination positive dans le logement social régional bruxellois marche sur la tête.

L’accueil est de prime abord distant, presque méfiant, nous sommes dans les locaux du Syndicat des locataires à Anderlecht, face à José Garcia, son médiatique et charismatique Secrétaire Général. L’homme est trapu au visage rond caché sous une barbe noire et fleurie. Son accent de «echte Brusseleir» est un régal et colle parfaitement au personnage. Son expertise et ses interventions sont paroles d’évangile dans le domaine du logement à Bruxelles. Tout d’un coup, une étincelle apparaît dans son regard. «Ah oui ! c’est pour l’interview» lance-t-il subitement. «Allons-nous installer avec du café !» ajoute-t-il enthousiaste. La glace est brisée…

L’absence d’aménagement : « On a raté une marche! »

La crise du logement et la flambée des prix des loyers poussent de plus en plus de bruxellois vers le logement social. A Bruxelles, obtenir le Graal locatif social induit une attente insoutenable, entre 8 et 10 ans ! Les chiffres sont éloquents, il y a 40.000 logements, il en faudrait le double pour répondre à la liste d’attente des 44.000 demandeurs. «Aujourd’hui, il y a un véritable problème du logement et ça touche tellement de personnes, que d’autres catégories de personnes (…) des immigrés, des handicapés, etc… ont encore plus de problèmes. C’est déjà tellement difficile en étant « normal » et malheureusement pour les autres c’est encore plus difficile», lâche José Garcia.

Pour les personnes porteuse d’un handicap, la problématique est double, d’une part se loger décemment et d’autre part accéder sans difficultés et de façon autonome à son chez soi. Le parc immobilier privé n’a pas vocation à faire «dans le social» et de possibles aménagements ne sont pas une priorité dans un secteur où l’offre insolente écrase une demande fragile et soumise. Le constat du côté du logement social n’est pas plus réjouissant, « (…) ça c’est pour moi un véritable scandale (…) la problématique d’accès indépendamment du handicap spécifique à la personne (…) je parle bêtement de l’accès au logement, il y a des escaliers et on refuse, éventuellement de mettre une rampe (…) il y a des logements aujourd’hui inaccessibles aux personnes à mobilité réduite et pas seulement en chaise roulante, c’est aberrant ! » déplore José Garcia.

Sur cette question, le pouvoir politique se veut rassurant, au Cabinet de la ministre Frémault (CDH), en charge notamment du logement à Bruxelles, c’est une priorité. La collaboration avec la SLRB (Société de Logement Régionale Bruxelloise) en matière d’accessibilité publique s’oriente vers plus d’inclusion. Pour Naïma Ghanmi, conseillère pour la rénovation des logements sociaux au cabinet ministériel, il s’agit d’une priorité : «Il n’y a certainement pas lieu d’exclure des catégories de personnes mais plutôt d’en inclure», explique-t-elle. Mais d’en minimiser l’impact dans la foulée : «Parmi les 44.000 demandes (de logements sociaux) il y a moins de 100 demandes PMR», précise-t-elle. Et d’enchérir : «Généralement, dans l’esprit de beaucoup de personnes, on pense qu’il y a énormément de demandes alors qu’au final, il n’y en a que cent. »

Avec un maigre budget annuel de 40.000 € pour réaliser les aménagements dans toute la Région Bruxelloise, cette priorité ne se traduit pas en chiffres au Ministère. José Garcia cautionne à demi-mot ce constat, teinté de compréhension désabusée pour certaines priorités dans le domaine : «On pourrait trouver des solutions, mais la vérité, malgré tout – et ce n’est pas pour amoindrir ces combats –, mais c’est vrai qu’aujourd’hui on est dans un tel marasme au niveau de la problématique simple du logement que bon…».

Une offre de logements trop faible

A Bruxelles, les sociétés de logements sociaux disposent de patrimoines immobiliers comprenant des habitations adaptées aux personnes porteuses d’un handicap. La législation est passée par là. 5% de logements spécifiques, c’était le quota imposé pour les nouvelles constructions ou les rénovations. On parle ici à l’imparfait car le nouveau contrat de gestion de la SRLB pour la période 2015-2020 n’en impose plus. La Ministre Frémault privilégiant davantage de concertation avec tous les acteurs du secteur. «Ce sont des échanges pour faire monter leur expertise et leurs regards sur une problématique, pour qu’ils mènent une politique (qui a été adoptée bien avant que ce cabinet soit mis en place, mais où il y a des blocages). Nous faisons donc en sorte de lever ce blocage ; peut-être par une réglementation ou par un subventionnement. C’est dans ces mesures-là que nous agissons», indique Naïma Ghanmi.

Un « cadastre » du logement pour PMR s’imposait également dans la capitale. Il est vrai que longtemps, le recensement était compliqué par l’absence de définitions officielles et reconnues. Et ce, du fait de sensibilités ou d’opportunités de certains décideurs. En effet, a minima, certains bailleurs sociaux considéraient que la présence d’un ascenseur suffisait pour répertorier le bien comme adapté. Argument qui fait bondir José Garcia en relatant des cas : «Quand on répond : « oui mais monsieur (handicapé) il y a un ascenseur » (…) il peut refuser et si on le pénalise y a moyen de se battre contre (…) si une personne handicapée vient et nous parle et nous dit des trucs pareils c’est clair que nous, on y va et on fonce !».

Une chose est sûre et fait l’unanimité dans le secteur, le manque de logements sociaux à Bruxelles est criant. Ce constat ne s’arrête pas là, 10% du parc locatif est inoccupé pour cause de rénovation, l’équivalent de 4.000 logements ! La raison principale de ce gâchis réside dans le manque de volonté politique. L’absence de moyens pousse des bailleurs publics à laisser à l’abandon une partie de leur patrimoine. Alors que l’offre stagne, les listes d’attentes s’allongent…

Y-a-t-il suffisamment de logement pour répondre à la demande des personnes (handicapées) actuellement ? « Non parce qu’il y a des candidats en attente donc il y a toujours cette question de liste d’attente dans le logement social» nous dit Naïma Ghanmi. Ce qui s’avère vrai au niveau global l’est également pour la catégorie du logement social adapté à la personne porteuse d’un handicap. Cette inclusion sociale par le biais du logement reste sous-exploitée par les pouvoirs publics. La tendance allant toujours vers le placement de ce public vers des structures spécialisées.

De l’attente à l’attribution du logement

La « liste d’attente », des  mots font frissonner tous les candidats à un logement social. Chronos lui-même, le Dieu du Temps de la mythologie grecque, aurait renoncé tant les délais procurent frustration et fatalisme. La pression de la demande sur les bailleurs publics est extrêmement forte dans un contexte socio-économique précarisé. Comme indiqué plus haut, les financements des pouvoirs publics n’offrent qu’une vision de gestion de ce qui existe. Chaque candidat locataire obtient des points de départ en fonction de sa situation sociale (marié, enfants, handicap, etc…) et ensuite par année d’attente. Dans ce calcul, les personnes handicapées bénéficient de plus de points au regard de leur handicap, «ce qu’on peut dire au niveau positif, effectivement, contrairement au passé dans le cadre des points qu’on attribue aux candidats locataires, le fait d’être handicapé (…) en fonction du degré (…) on peut dire qu’on en tient compte dans l’accès au logement social (…) public ou assimilé», reconnait José Garcia.

Le candidat locataire se voit attribuer un logement lorsque celui-ci arrive en tête de liste d’attente. L’attribution nécessitera une condition sine qua non : l’accord du candidat locataire à la proposition de logement qui lui sera faite. Or en pratique, le futur logement d’une personne en situation de handicap comporte deux conditions supplémentaires par rapport au candidat valide. En premier, la simple question de l’accès se pose alors qu’on sait que la notion d’accessibilité se défini de façons différentes d’une société de logement à l’autre. La reconnaissance du handicap est acquise, certes, mais la réalité n’est pas à la hauteur des ambitions des réglementations en matière d’inclusion. Deuxième nécessité, obtenir un logement adapté à son handicap. Et là encore ce n’est pas gagné tant par la spécificité des  demandes que par le faible nombre de biens immobiliers disponibles. On l’a vu les moyens financiers freinent les constructions de nouveaux logements ou la rénovation du parc actuel. Ces contraintes renforcent la précarité de la personne porteuse d’un handicap face à son droit universel au logement.

Plus interpelant encore, certaines sociétés de logement social se déresponsabilisent de leur mission d’inclusion des personnes handicapées dans leur politique d’attribution. On apprend, en effet, que des locataires sociaux sans reconnaissance de handicap occupent des logements réservés normalement aux handicapés. Ce ne sont pas des cas isolés ou limités à une période critique. Le sujet est tabou et crispe les acteurs du secteur : «La situation n’a pas vraiment changé et nous n’avons pas eu de retour par rapport à ça», nous déclare laconiquement Naïma Ghanmi du Cabinet Frémault. Un « No comment », en somme, qui illustre les difficultés des pouvoirs politiques d’intervenir dans le fonctionnement de ces sociétés. Celles-ci cèdent sous la pression toujours plus forte de la demande. Dans le climat actuel de crise du logement, la tentation semble trop forte. La défense de l’habitat adapté devrait interpeler également et devenir une prérogative auprès des syndicats de locataires.

L’inclusion par le logement, une fée déguisée en sorcière

On le voit, les bonnes intentions ne suffissent pas et la réglementation sur le quota de logements adaptés est régulièrement bafouée. Si la personne porteuse peut refuser un logement social non adapté ou pas suffisamment accessible, c’est le plus souvent à ces risques et périls. « Il y a une radiation lorsque le candidat ne répond pas à une proposition ou qu’il refuse un logement sans raison ou motivation valable. Ce candidat est donc radié pendant six mois (…). Il peut se réinscrire en partant à 0», explique Naïma Ghanmi. La précarité du demandeur ne le pousse pas à accepter de crainte de se faire radier. Voir de nombreuses années d’attentes voler en éclats. «Certains acceptent car ils sont dans une situation telle qu’ils ne peuvent pas refuser (…) dans certains cas ils vivent dans des logements quasi insalubres, tu ferais quoi à leur place ? » lance José Garcia.

A ce propos, le Cabinet apporte sa réponse fortement « aseptisée » : «Ils doivent motiver les raisons pour lesquelles le logement n’est pas adapté à leur situation. La modification peut être faite mais il n’y a pas de radiation d’office» déclare la conseillère de la ministre. Nous posons la question d’un éventuel recours. Bien entendu, il existe mais le traitement de celui-ci nous surprend : «La personne sera radiée mais elle peut se présenter à une société immobilière qui pourra être à l’écoute et la société pourra peut-être annuler l’exclusion. Il est possible d’introduire une plainte auprès de la société immobilière mais c’est un agent de la SLRB qui traitera la plainte», précise Naïma Ghanmi. On laisse encore une marge de manœuvre importante aux sociétés de logements sociaux. Une radiation et donc des années d’attentes se jouent en fonction du bon vouloir d’un employé de l’administration. Cela fait froid dans le dos.

Les contraintes d’accessibilité, d’adaptabilité et d’octroi d’un logement social ne favorisent pas actuellement, à Bruxelles, un traitement équitable des personnes handicapées. Les différents dysfonctionnements dans la réglementation de l’inclusion de la personne handicapée conduisent à des effets contre-productifs. Cette réalité a un effet discriminatoire sur ce public. La volonté progressiste de favoriser la socialisation des PMR est sacrifiée sur l’autel de la crise du logement.

Des avancées, évidemment, il y en a eu et la situation a évolué positivement depuis trente ans. Le sort de la personne handicapée a cessé d’être exclusivement lié aux institutions spécialisées. Aujourd’hui, la reconnaissance de ce public prouve l’évolution des mentalités. Cependant, pour de nombreuses catégories de populations fragilisées, leur processus d’intégration s’arrête où commencent les mesures d’austérité économique.

Nous apprenons, en concluant ces quelques lignes que Monsieur Dupond (nom d’emprunt) a obtenu un logement accessible et adapté à son handicap. Une éclaircie dans le ciel couvert du logement PMR. Il ne reste plus à M. Dupond de convaincre une société d’assurance de lui permettre de contracter une police d’incendie. Les assureurs ne se privent pas, pour diverses raisons, et de manière abusive, de refuser ce droit aux personnes porteuses d’un handicap. Quand on vous dit que ce n’est pas gagné…

 

 

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