« Les chats se font bouffer par les rats »
Cafards, punaises de lit, rats, gale, exiguïté des cellules, souvent occupées à plusieurs. En prison, l’hygiène des lieux laisse à désirer. « L’autre jour, explique un détenu, il y avait des hommes d’une société de désinfection qui sont entrés masqués et qui ont aspergé un produit pour traiter les cellules. Ensuite les gardiens ont proposé à plusieurs détenus, des paumés qui n’ont pas un balle, de rester quelques jours dans les cellules désinsectisées, en échange d’un paquet de tabac et d’une bouteille d’eau, pour voir s’ils se faisaient encore piquer. »
Autre prison, autre situation ? Farid parle de Lantin : « Dans les préaux, il y avait des rats. Tellement de rats qu’on avait l’impression qu’ils étaient chez eux et nous, les intrus ! Alors ils ont amené des chats pour chasser les rats, mais en fait, ce sont les rats qui coursaient les chats qui se barraient pour ne pas se faire mordre. Après quelques semaines, les chats étaient pleins de blessures… » Ce sont les détenus qui se chargent du nettoyage des cellules. « Vous recevez le matériel, raclette, seau, produit de nettoyage de la prison ou vous achetez le matériel via la cantine. Moi, je passe tout à l’eau, je racle et je ramasse l’eau avec une ramassette que je déverse dans la toilette. J’ai demandé un mob Vileda via la cantine mais ça a été refusé », explique Farid. Si certains sont attentifs à garder les cellules propres, ce n’est pas le cas de tous, et cela peut vite devenir sale. « Les entrantes, explique Saadia, ne se rendent pas compte qu’il faut faire attention à l’endroit où l’on vit et elles sont crades, mettent du dentifrice sur les murs, crachent des mollards sur le sol. »
Quant au « nettoyage » des détenus, les douches, c’est deux fois par semaine, ou alors dans le préau, à l’eau froide. C’est ce que fait Jy, après l’utilisation des engins de sport qui sont dans les préaux. S., lui, explique qu’il y a une douche dans l’atelier dans lequel il travaille, mais on lui demande régulièrement de prendre sa douche alors que le travail n’est pas terminé. « Quand vous sortez de l’atelier, une heure après avoir pris votre douche, vous êtes aussi sale que si vous n’en aviez pas pris. »
Au-delà de l’insalubrité des cuisines, les conditions d’hygiène sont catastrophiques dans le système carcéral. Les rats et les cafards pullulent. La literie est extrêmement sale, comme l’a par exemple relevé la commission de surveillance de la prison de Termonde : les matelas, oreillers et couvertures ne sont lavés parfois qu’une fois par an alors qu’ils sont utilisés par plusieurs personnes, les draps ne sont changés qu’une fois par mois, etc. Dans la majorité des établissements, les produits d’entretien, les produits sanitaires et les produits de soins (dentifrice, savon, eau de javel…) doivent être achetés par le biais de la cantine une fois le « pack entrant » épuisé. Cela crée une discrimination vis-à-vis des détenus sans ressources. Concernant les douches, les détenus des prisons se plaignent fréquemment de leur difficulté d’accès. Même en période de canicule, ils ne peuvent prendre une douche qu’une fois tous les trois jours, alors qu’il règne dans les cellules une température moyenne de 35°. Lors des grèves, l’accès aux douches est encore plus aléatoire. Il est arrivé que des détenus n’aient pas accès aux sanitaires pendant 15 jours !
Source : Notice 2016. Pour le droit à la dignité des personnes détenues, OIP. Les conditions d’hygiène (vétusté, insalubrité) ont un impact sur la santé : dermatites, problèmes respiratoires, infections cutanées, etc. Source : Rapport final « Santé » des Commissions de surveillance pour 2015 et 2016.
« Si t’as pas d’argent et pas de soutien de l’extérieur, t’es dans la m… »
Tout coûte cher en prison. Pour la cantine, les achats se font au Colruyt sur base de listes sur lesquelles vous pouvez choisir les articles à commander. Des listes qui sont à géométrie variable, selon les prisons. De trois pages à vingt pages : ceux qui ont déjà voyagé dans les différentes prisons du pays ont vite fait de comparer les propositions. Quelle que soit la longueur de la liste, les prix seront majorés de 20% par rapport aux tarifs en magasin. Sauf pour le tabac dont le prix est fixe. Certains comme Farid ne mangent jamais les repas distribués par la prison (« Trop infects pour être avalés », « De toute façon, ils jettent la moitié à chaque repas », « Pour le régime hallal, on repassera : avant d’arriver devant les cellules, ils séparent les plateaux en deux. Hallal d’un côté, le reste de l’autre. ») Donc il cantine l’ensemble de sa nourriture. Ce qui lui coûte, chaque mois, entre 500-600 euros par mois. « J’ai tout le matériel dans ma cellule pour cuisiner, tu peux d’ailleurs cantiner des plaques chauffantes car je ne suis pas le seul à choisir cette option qui me coûte cher. Heureusement j’ai des revenus… Souvent les gardiens viennent me demander ce que je prépare, me disent que ça sent bon. » D’autres hésitent à prendre les plateaux servis par la prison : « Il y a bien des légumes, de la viande et des féculents, mais ils en ont juste le nom. Alors moi je mange des chips, des choses toutes préparées. Je ne cuisine pas comme Farid. » « Tu paies aussi pour la télé : 11 euros par mois. Si t’as pas de sous, tu reçois 50 euros d’où sont prélevés les 11 euros de la télé. Tu reçois un kit hygiène, qui comprend une brosse à dents, du dentifrice, un savon, un rouleau de papier toilette, un rasoir, de la mousse à raser, des serviettes hygiéniques. Il te reste 39 euros pour la cantine. Les sacs poubelles, c’est à ta charge… »
En règle générale, la salubrité des cuisines est mise en cause. Cafards, rats et souris pullulent jusque dans les frigos, lesquels ne respectent bien souvent pas la chaîne du froid. En 2008, 50% des enquêtes effectuées dans les établissements pénitentiaires par L’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire ont abouti à un rapport défavorable, pourcentage largement supérieur à celui lié aux autres collectivités.
Source : Notice 2016. Pour le droit à la dignité des personnes détenues, OIP.
« De la paperasse pour chaque demande »
« Vous voulez passer deux heures avec votre femme ? Vous souhaitez voir une assistante sociale ? Vous avez besoin d’un rouleau de PQ ? Vous devez faire des demandes écrites pour tout. Une visite en VHS, une commande alimentaire, une visite chez le médecin… Tout est procédurier. » Une extrême lourdeur administrative règne en prison. Quel est le circuit de ces demandes ? « En fait, expliquent Farid et Mickaël, au moment du passage chariot-repas, on peut recevoir des feuilles de demandes qui se trouvent dans le chariot. Il faut demander au gardien le document ad hoc. Ce n’est pas très discret. Si vous voulez envoyer un rapport à la direction, une demande de visite pour le médecin ou le dentiste ou si vous voulez rencontrer le SPS (service psycho-social), tout passe par ces documents. » Une fois que ces documents sont remis au gardien, cela peut prendre du temps avant d’avoir une réponse. Exemple ? Le système pour la cantine : le lundi matin, il faut remplir le document pour la cantine spéciale tabac/cigarettes. « Vous recevez votre commande le lundi suivant et devez remplir le document pour la semaine qui suit et ainsi de suite… » Idem pour la cantine du mardi qui concerne les biens périssables, puis le mercredi, celle des biens non périssables, le jeudi pour la viande et une fois par mois, une cantine extérieure dans des magasins que vous pouvez désigner. « Pour cette cantine qui concerne certaines enseignes (Di, Trafic, Décathlon, Club…), vous n’avez droit qu’à sept articles maximum. Si vous vous trompez dans la commande, vous devez attendre le mois suivant car elle n’a lieu qu’une fois par mois. » Il y a aussi une cantine Eldi, celle du matériel électro pour l’achat des plaques chauffantes par exemple, et une cantine musulmane, une fois toutes les deux semaines. Les demandes pour une visite médicale, chez le dentiste ou l’orthopédiste sont traitées selon le même procédé. Un document à remplir, qui va passer de bac à courrier en bac à courrier et vous pouvez attendre des mois avant que la demande ne soit prise en compte. Farid : « Les demandes qui sont traitées et pour lesquelles vous sollicitez par exemple un rendez-vous à l’extérieur, ne sont pas forcément prioritaires. »