Le sujet du laxisme ou de « l’impunité » chez les mineurs délinquants est en effet un sujet extrêmement tabou. Les policiers n’osent pas en parler, mais surtout, ne peuvent pas en parler. « Il n’y a pas plus politiquement incorrect que de parler de laxisme ou d’impunité », assène Christophe, l’inspecteur anonyme. Isabelle, inspecteur principal de police ajoute qu’« il y a une telle frustration à ce niveau-là que personne ne vous répondra officiellement ».
Comment se fait-il qu’une telle frustration se fasse ressentir chez certains policiers et qu’à contrario, aux autres niveaux de l’appareil judiciaire, le constat soit moins alarmiste.
Certains acteurs se demandent si les mesures protectionnelles de la justice des mineurs sont adéquates, comme Eric Janssens, Michèle Megank, et Charlotte, déléguée anonyme d’un service de protection judiciaire. Selon elle, « quand on crie au laxisme c’est souvent de l’ignorance. Quand on voit quels dégâts peuvent faire la prison ou l’IPPJ, je ne pense pas qu’il faille parler de laxisme. Il ne faut pas punir plus, il faut punir mieux. »
Pour Eric Janssens, l’enjeu premier est celui des moyens. « Le système est assez bon, le problème c’est qu’on n’a jamais été au bout des moyens dont on avait besoin. Et donc malheureusement, tous les systèmes de réponse (systèmes éducatifs ou services de police) sont complètement overbookés et le système est engorgé. Mais la philosophie de fonctionnement (c’est-à-dire le système protectionnel), est très bonne. L’enjeu est politique, on doit nous donner des moyens éducatifs, on devrait mettre un maximum de moyens et c’est très très loin d’être le cas. L’Aide à la jeunesse est en fait totalement sous-financée. Il y a là tout un débat de société. » Monsieur le premier substitut du procureur du Roi affirme donc qu’il n’y a pas de laxisme ou d’impunité envers les mineurs « délinquants ». Tout serait une question de budget.
« On n’offre pas les moyens d’appliquer la loi. Après, on dit que la loi ne fonctionne pas. Le processus fonctionne, mais l’outil concret n’est pas disponible, car il n’est pas financé. Même quand on veut éloigner un enfant, on voudrait telle réponse, mais on ne l’a pas. C’est là qu’est le problème. » [1]
Quant à Michèle Meganck, elle tente d’expliquer le constat alarmant fait par les 4 policiers interrogés. Madame la juge pense qu’il y aurait une difficulté au niveau des suivis des procédures. Mais pas seulement. « Il faut aussi se poser la question des preuves. Le magistrat du Parquet doit avoir assez de preuves. Donc je comprends que des policiers qui ont couru trois fois en une semaine derrière un jeune parce qu’ils sont certains ou ils pensent que, ou ils ont vu que, peuvent être déstabilisés, car ils se disent ‘’j’ai couru pour rien’’. »
Et parfois, c’est la communication qui manque entre le rouage judiciaire et le policier. « Le procureur dira au policier de relâcher le jeune, mais le convoquera pour une audition plus tard. Idem s’il y’a des suites d’enquête. Le policier ne saura peut-être juste pas ce qu’il se sera passé par la suite. » Dixit la Juge de la Jeunesse Meganck, qui ajoute : « Les policiers n’ont en effet pas toujours accès aux décisions qui sont prises ou non au niveau judiciaire. On se retrouve alors avec des situations où le policier voit un mineur qu’il a arrêté la veille sans savoir quelles ont été les décisions prises. »
[1] https://www.lalibre.be/actu/belgique/tapages-vols-detentions-de-drogue-que-disent-les-chiffres-de-la-criminalite-a-bruxelles-5bc5f700cd708c805c3c2394