MENA: bonnet d’âne ou 10/10?
Aujourd’hui, sur les bancs de l’école, il n’est pas rare de voir se mêler à la fois des jeunes belges et des jeunes primo-arrivants. Ces derniers, qu’on place d’abord en classe DASPA, sont rapidement confrontés à des difficultés dues à leur langue, leur culture et leur situation légale. Alors, comment se porte la scolarité de ces jeunes que la vie a déjà tant malmenés?
Il est 19 h 30, les cours sont terminés et la sonnerie des classes est déjà bien loin dans les souvenirs. C’est l’heure pour certains de commencer les devoirs. Au Centre d’accueil des demandeurs d’asile de la Baraque de Fraiture (province de Luxembourg), au fond d’un couloir aux murs un peu défraîchis, il existe une petite classe spécialement réservée à l’école des devoirs. Dans cette pièce aménagée depuis peu se trouve une armoire avec quelques livres scolaires, des dictionnaires, des cahiers et, au mur, un alphabet et des mappemondes. Chaque soir et depuis l’ouverture du centre en décembre 2015, des bénévoles viennent en aide aux adolescents volontaires.
Le Centre d’accueil des demandeurs d’asile de la Baraque de Fraiture accueille exclusivement des mineurs étrangers non accompagnés, communément appelés «MENA». Ici, il n’y a que des garçons et la majorité, comme Mohammad et Mansoor, sont des Afghans, la plupart âgés de 16 ou 17 ans. Certains d’entre eux ne parlent que quelques mots de français, d’autres le maîtrisent plutôt bien. Pour ces jeunes, l’un des défis les plus difficiles est de reprendre le chemin de l’école, en particulier lorsqu’ils ne connaissent pas le français ou lorsqu’ils n’ont plus fréquenté les bancs de l’école depuis longtemps…
L’abc des classes DASPA
En Belgique, les MENA, comme tout enfant présent sur le territoire, ont droit à l’instruction. C’est un droit fondamental, inscrit dans la Constitution.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe un dispositif d’accueil et de scolarisation de primo-arrivants communément appelé «classes DASPA». À ce jour, il en existe 30 à Bruxelles et 35 en Wallonie. Concrètement, c’est une année d’apprentissage (allongeable de six mois au maximum) qui prépare les MENA à entrer dans un système scolaire classique et qui permet une mise à niveau de la langue française. L’idée est qu’ensuite ces jeunes puissent rejoindre un enseignement classique dans les écoles primaires et secondaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
(…)les classes DASPA sont fondamentales mais le manque de moyens (humain et financier) est dramatique. Julie Docq-Gadisseur, professeure de français en classe DASPA
Les MENA ne sont en rien des élèves comme les autres. Selon Fedasil, 1.400 MENA sont scolarisés cette année. Julie Docq-Gadisseur, professeure de français en classe DASPA, interrogée lors d’un débat au Théâtre national sur les jeunes primo-arrivants à l’école, explique que leur prise en charge est loin d’être évidente. Pour beaucoup, les classes DASPA sont fondamentales mais le manque de moyens (humain et financier) est dramatique. Il faudrait un allongement de l’année, plus de flexibilité et un aménagement pour chacun. Ces classes passerelles ne répondent pas toujours aux besoins et aux profils de chaque MENA. Leur niveau scolaire est parfois très différent et le professeur doit gérer ces diversités. La plupart des jeunes étant de la même origine, ces classes ne favorisent pas l’apprentissage du français. Au centre de la Baraque, dans son bureau juxtaposé à la classe qui sert pour l’école des devoirs, Zarina Yaniouï, responsable scolaire, explique: «Il serait plus efficace de les placer directement en classes classiques selon leur âge.» Elle fait référence à l’Institut du Sacré Cœur de La Roche, qui a fonctionné différemment pendant un temps: les MENA y étaient répartis par deux en tant qu’élèves libres dans différentes classes de l’enseignement général. Ainsi, notamment grâce aux échanges avec les autres élèves, ils ont progressé plus rapidement que ceux placés en classes DASPA. Zarina regrette que l’insertion, c’est-à-dire le moment où les jeunes quittent les classes DASPA pour l’enseignement classique, ne se passe pas toujours au moment le plus opportun. En effet, la plupart du temps ces insertions ont lieu en novembre ou au deuxième quadrimestre. Prendre l’année scolaire en cours de vol est extrêmement difficile car le retard accumulé dans les différentes matières n’est souvent pas récupérable. L’adaptation scolaire pour ces jeunes n’est donc pas évidente et peut créer un profond sentiment de frustration, tant pour les MENA que pour leurs professeurs. L’autre grand défaut de ce système réside dans les places disponibles dans le type d’enseignement que le jeune souhaiterait suivre après la classe DASPA. En arrivant en novembre ou plus tard, il est fréquent qu’ils doivent se rediriger vers des enseignements ou des sections qu’ils n’ont pas forcément choisis. Concrètement, ils ont le choix entre le Centre de formation professionnelle en alternance (CEFA), l’enseignement professionnel, technique de qualification ou l’enseignement général. Michel Hotterbeck, ingénieur et criminologue pensionné et bénévole à l’école des devoirs, constate que souvent le CEFA est le plus populaire. Néanmoins, malgré la pseudo-facilité du CEFA (deux jours d’école pour trois jours de formation), la langue reste un obstacle de taille et les jeunes ne parviennent pas toujours à progresser.
Les défis des bénévoles
Ce soir, Monique Paul, bénévole depuis peu au centre, rencontre un vrai challenge. La leçon du jour: le singulier et le pluriel tout en ne confondant pas le féminin et le masculin. Des chevals ou des chevaux? Un ordinateur ou une ordinateur? Pas simple de ne pas s’emmêler les pinceaux car la complexité de la langue française constitue un vrai défi.
À la Baraque de Fraiture – habituellement plus connue pour ses premiers flocons et sa piste de ski –, l’école des devoirs permet à certains de combler certaines lacunes et d’apporter un soutien supplémentaire. «Les bénévoles apportent ce qu’ils peuvent mais cela n’est pas toujours suffisant», explique Michel Hotterbeck. Les livres, les cahiers et le matériel scolaire viennent d’une initiative des bénévoles. Ceux-ci, souvent peu nombreux, déplorent le manque de moyens mis à leur disposition. Pour Michel, «la priorité est de donner un enseignement de qualité mais que ce n’est pas toujours facile car il faut à la fois gérer le barrage de la langue et les méconnaissances dans beaucoup de matière ainsi que la fatigue et le découragement des jeunes». L’un des gros défis est également d’inciter les jeunes à travailler avec les bénévoles. Sur les 60 MENA présents à la Baraque de Fraiture, seule une dizaine participent à ces séances. Il est difficile de les motiver et de les conscientiser quand les éducateurs privilégient l’autonomie. Pour ces adolescents, faire face à des responsabilités d’adultes alors qu’on sort à peine de l’enfance n’est pas toujours facile. Les choses les plus simples, comme se lever pour aller à l’école, ne sont pas automatiques. Il n’est pas rare que certains MENA manquent les cours. Pour y remédier et ne pas les pousser à faire l’école buissonnière, le centre ne sert plus de repas chauds à midi et les effectifs sont réduits au minimum durant la journée. De plus, à leur majorité ou à l’obtention de leur titre de séjour, ces jeunes devront quitter le centre et se gérer complètement seuls ou avec un tuteur. Hors des murs du centre, il sera encore plus difficile pour les bénévoles de les accompagner dans leur parcours scolaire. C’est le cas de Monique qui ne sait pas s’il sera possible de continuer à aider son élève lorsqu’il aura quitté la Baraque. Face à ces nombreuses difficultés, il serait facile de baisser les bras mais Michel Hotterbeck admet «voir des jeunes miraculeux qui s’en sortent très bien».
Happy end?
L’école et l’école des devoirs sont des lieux de vie importants pour le mineur étranger. À la fois lieux d’apprentissage et lieux de socialisation, ils permettent d’apprendre une langue nationale ou tout simplement de passer un moment avec des jeunes du même âge. Malgré un chemin parfois semé d’embûches, les bénévoles et le personnel du centre donnent leur maximum.
Mohammad Tayyab Maserkhel, 16 ans, vient d’Afghanistan. À son arrivée, il est resté plusieurs mois sans être scolarisé et, malgré la présence d’un professeur au centre, il n’avait pas envie et ne comprenait rien. «Je dormais beaucoup. On était tous très fatigués.» Les choses ont bien changé puisque, depuis septembre, il est scolarisé en 3e technique d’animation à l’Athénée royal de Fragnée à Liège. Dans sa classe, il est le seul MENA mais les relations avec ses camarades sont très bonnes. «C’est mieux à Liège. À la campagne, les gens ont peur des étrangers», constate-t-il. Lorsqu’il a quitté sa classe DASPA, on lui a conseillé l’enseignement technique. Pourtant, le sourire aux lèvres et dans un bon français, il déclare «vouloir faire des études médicales pour être médecin». Mohammad quittera bientôt le centre de la Baraque de Fraiture pour aller s’installer seul dans un appartement à Marche-en-Famenne. Si sa motivation, son courage et son enthousiasme restent intacts, il pourra dans quelques années entamer les études qu’il souhaite.
« Classes-passerelles pour primo-arrivants: un cadre sans cadre? », Alter Échos n° 397 , 17 février 2015, Pierre Jassogne
« Une petite école pour faire atterrir les enfants de passage », Alter Échos n° 418 , 9 mars 2016, Martine Vandemeulebroucke <div