Michel Colson (AVCB) : CPAS, terminus tout le monde descend !
Les CPAS bruxellois se trouvent confrontés à de nombreux défis à relever dans un avenir proche : échéance électorale qui influera sur la politique sociale fédérale, finalisation de la régionalisation des compétences sociales, résorption du flux des « exclus » des allocations de chômage suite aux mesures de 2012. Les économies d’échelle doivent-elles toujours se faire au détriment du travail social ? L’informatisation a-t-elle amélioré l’efficacité et la qualité du travail social ? L’option de la fusion des communes et des CPAS serait-elle une solution ? Témoin privilégié des bourrasques subies par les CPAS depuis près de 20 ans, Michel Colson en sa qualité de président la section CPAS de l’Association de la Ville et Communes de la région de Bruxelles-Capitale (AVCB) depuis 1999, de Conseiller et ancien Président du CPAS de Watermael-Boitsfort depuis 1995, de député du parlement bruxellois, et de secrétaire général du FDF, s’est prêté à nos questions.
Interview réalisée par des étudiants du MIAS de l’IESSID, catégorie sociale de la Haute Ecole Paul-Henri Spaak.
Itinéraire d’un président gâté
J’ai hérité de la présidence de l’AVCB en 1999. Elle était en ce temps-là assurée par Camille Van Exter, qui exerçait également un mandat comme Président du CPAS d’Uccle. Un personnage truculent qui est décédé brutalement et, comme je siégeais en son bureau, ça m’est tombé dessus… mais pas tout à fait par hasard. J’ai donc exercé simultanément la Présidence de l’AVCB et celle du CPAS de Watermael-Boitsfort jusqu’aux élections communales de 2012 où, la donne politique ayant changé, j’ai reçu mon ticket de sortie après 18 ans de Présidence.
Mon premier mandat au sein d’un CPAS remonte donc à 1995, la même année qu’Yvan Mayeur (PS) à Bruxelles-Ville. J’ai commencé par présider le Conseil de l’Action Sociale du CPAS de Watermael-Boitsfort. A cette époque on a assisté à une montés en puissance d’une nouvelle génération de Présidents de CPAS qui, contrairement à leurs prédécesseurs, se sont battus pour avoir la présidence des CPAS. Parce qu’auparavant, et pendant tout un temps, cette présidence était reléguée au rang de lot de consolation pour ceux qui n’étaient pas repris au Collège échevinal. Heureusement que pour ce qui est de la région bruxelloise, ça n’est absolument plus le cas.
Car en définitive, le prestige et le poids politique découlent principalement des matières gérées. Il n’en va donc évidemment pas de même pour un Echevin du Confort animal, des Finances ou pour un président de CPAS.
Mais pour ma part, rien au monde ne m’aurait fait renoncer à cette présidence. Combien de fois n’ai-je d’ailleurs pas répondu à ma Bourgmestre qui me demandait si je ne voulais pas monter au Collège, que descendre du CPAS ne m’intéressait absolument pas…
Gestion et ingérence
Le système collégial est par définition très lourd et très épuisant car il faut absolument s’accorder sur tout, ce qui se transforme inévitablement dans les grosses communes en : « je te fous la paix sur tes dossiers, tu me fous la paix sur mes dossiers » et tout passe. Ce n’est, bien entendu, pas comme ça que l’on fait des politiques intégrées, mais enfin…
Au CPAS par contre, on s’engueule nettement moins que sur des grandes thématiques socio-économiques, car ce qui nous rassemble, c’est d’abord l’individu dans sa singularité. C’est ce que j’appelle l’unanimisme du social, qui permet d’arriver à une forme d’unanimité dans la poursuite des objectifs, tout en transcendant les divergences politiques.
Il est vrai qu’on peut ne pas toujours tomber d’accord, mais je peux dire qu’en 18 ans de présidence du CPAS, tous mes budgets ont été votés à l’unanimité. Ce qui a donné parfois lieu à des situations cocasses : les formations politiques représentées au sein du Conseil de l’Action Sociale étant les mêmes qu’au Conseil communal, lorsque le feu de l’actualité battait son plein, il arrivait que les conseillers de l’action sociale se fassent remonter les bretelles par leur comparses communaux, qui les apostrophaient par des: « tu aurais quand-même pu t’abstenir ou voter non, parce que maintenant on est obligés de suivre ». Mais il s’agit ni plus ni moins que de la théâtralisation de la vie politique, qui à mon humble avis n’est pas nécessairement salutaire à la démocratie.
L’enfer c’est les autres
Dans toutes les communes (sauf bientôt peut-être à Bruxelles-Ville, on verra dans le cas de Yvan Mayeur si la fonction fera l’homme), l’autonomie dont disposent les CPAS engendre une espèce de jalousie des municipalistes à l’égard de leur CPAS. La cause principale étant le huis-clos : « On ne sait pas ce qui s’y passe…, ils jettent l’argent par les fenêtres », disent-ils… Il y a donc une méconnaissance, voire une méfiance mutuelle. Il est souvent plus facile d’expliquer que les déficits structurels communaux sont dus à quelque chose qu’on ne maîtrise pas totalement (donc aux CPAS), plutôt que de regarder dans sa propre assiette. Or des outils légaux de concertation sont là pour dépasser cette méfiance, mais ce n’est qu’une question d’hommes et de femmes, d’opinion politique et de génération.
Contrairement à mes amis Ecolo qui ont plaidé pour la suppression du huis-clos des séances, moi je prétends qu’il s’agit indubitablement d’un mode de préservation de la qualité du débat démocratique. Et cette qualité recèle plus d’importance dans les séances des CPAS où le public ne peut assister, que dans les séances du conseil communal, où la théâtralisation de la chose politique se traduit ici par « cause toujours » si tu es dans l’opposition, et « ferme ta g… » si tu es dans la majorité.
Le huis-clos est également indispensable au secret professionnel des bénéficiaires, qui représentent tout de même la majorité des dossiers CPAS. Car sinon que resterait-t-il ? Le budget et les marchés publics. Pensez-vous réellement que s’il n’y avait pas le huis-clos, des cohortes de cars de citoyens passionnés se précipiteraient dans les salles de séance des CPAS pour les marchés publics ? C’est donc un faux débat.
Accords et désaccords
Quant à mon rôle au sein de l’AVCB, il consiste à présider le Comité Directeur composé de présidents et secrétaires des 19 CPAS bruxellois.
Les Fédérations de CPAS sont les interlocuteurs privilégiés du Fédéral. L’enjeu est donc de taille lors des concertations mensuelles avec le SPP IS (Service public fédéral de programmation Intégration Sociale). Dans la foulée, nous avons également une concertation entre les 3 Fédérations de CPAS (wallonne, flamande et bruxelloise) dans laquelle nous essayons d’adopter une position commune. Mais il est très clair que cela devient de plus en plus difficile. Principalement parce qu’en région flamande, le CPAS est moins autonome institutionnellement, et son président est membre à part entière du Collège. Mais il semble surtout que l’approche culturelle par rapport à l’aide sociale soit différente. Ce qui est en partie expliqué par le contexte socio-politique flamand. Car évidemment, n’ayant pas nous-mêmes la pression aussi forte de la NVA et du Belang, nous sommes bien plus à l’aise que dans le Nord du pays. Et avouons-le, cela nous permet à la rigueur de tenir un discours plus humaniste.
Heureusement qu’au sein du Comité Directeur bruxellois, la concertation est bien plus aisée. Tout en ne voulant pas jouer le faux naïf, l’une des beautés de la fonction en CPAS est que la fonction fait l’homme ou la femme. Ce qui permet de transcender plus facilement les différends politiques par rapport au champ politique traditionnel, car être d’abord les défenseurs des outils du CPAS nous unit déjà.
Il nous faut donc trouver un équilibre et il me semble que globalement, nous y parvenons. Que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, nous connaissons nos différences, nous ne les gommons pas, mais on ne va pas recommencer chaque fois ce débat-là. Et lorsque nous sommes face à un blocage, nous le constatons et chacun rentre chez soi un peu inquiet, en se disant qu’on n’arrivera sans doute pas à le résoudre. Et c’est à travers cette réflexion que, soit le consensus opère, soit on tirera vers le bas. Ce n’est pas l’idéal, mais à l’impossible nul n’est tenu…
Car si les mesures d’austérité devaient tout de même avoir un effet positif, ce serait qu’elles obligent à rapprocher les points de vue et à objectiver des situations. Parce que si la majorité politique s’entête à tenir un discours du type : « Voilà, ton chiffre de subvention communale c’est 5 millions et rien de plus à partir du 1er janvier », comment et avec quoi devrons travailler ?
Touchez pas au grisbi
Jour après jour, on fait un pas de plus vers la régionalisation, avec pour les CPAS, des clés de répartition défavorables. Et lorsqu’il y a des sous sur la table, généralement ça ne se passe pas bien. Il faut donc impérativement qu’entre les trois fédérations, nous nous accordions entre nous sinon, en divisant pour mieux régner, le SPP et le cabinet De Block (VLD) régleront le problème à leur sauce, en tirant les marrons du feu. Car, et ce n’est un secret pour personne, le fédéral cherche des sous par tous les moyens. Et comme il rembourse partiellement certaines aides, il estime quand-même que celui qui finance en partie décide en partie. Et si vous ajoutez à cela que dans la lutte contre la fraude sociale, ce sont les CPAS qui sont considérés comme fraudeurs, vous imaginez l’ambiance.
Mais malgré tous nos efforts pour trouver des consensus, lorsque certains dossiers épineux tels que ceux du Fonds social européen, ou de la mise à l’emploi arrivent sur la table…ça grogne !! Les Wallons sont plus ou moins préservés, les Bruxellois objectent « m’enfin ce n’est pas possible, on reçoit 13% alors qu’on devrait avoir beaucoup plus », et les Flamands de rétorquer « c’est vrai que nous sommes bien payés mais n’oubliez pas que c’est notre seule source de financement parce que nous ne sommes plus aidés par la Région flamande en matière de mise à l’emploi ».
Un autre exemple de sujet sensible est le Plan de Répartition des candidats réfugiés. Qui trinque là-dedans ? La région de Bruxelles et majoritairement Bruxelles-Ville ! Moi j’ai toujours été soutenant, car il est vrai qu’à Watermael-Boitsfort nous n’avons jamais été confrontés à un grand nombre de candidats réfugiés. Mais au vu du climat actuel, un fait est certain : le nombre de dossiers de candidats réfugiés traité par le CPAS de Watermael-Boitsfort est passé de 500 dossiers à 50, entre 2007 et 2012. Pour l’institution du CPAS que je présidais c’est, il faut avouer, plutôt une bonne chose en termes de gestion interne. Mais pour le citoyen que je suis, une question alarmante se pose : que sont devenus les 450 autres ? Sont-ils malgré tout en Belgique et vivent-ils dans la clandestinité ? Son-ils maintenus dans des centres ouverts ou fermés ?
Il est vrai qu’en passant de l’aide financière à l’aide matérielle, la loi a changé en matière d’aide aux candidats réfugiés. Et il est vrai aussi qu’à l’époque j’étais, comme un jeune con, contre. Contre les ILA (Initiatives locales d’accueil) et contre l’aide matérielle, pour des questions de principe : la loi prévoit que seul le CPAS détermine la forme d’aide la plus appropriée. La loi étant la loi, les autres collègues m’ont dit « d’accord on est avec toi », on a fait une manif, mais quand je me suis retourné, il n’y avait plus personne car ils s’étaient tous planqués, et avaient ouvert des ILA. Or j’ai pu constater en toute objectivité, qu’au final cette formule était la moins mauvaise. J’ai donc j’ai changé d’avis.
Maintenant, avec la diminution du nombre de demandes de candidats réfugiés que madame De Block a réalisée, en accord avec l’ensemble de tous les partenaires du gouvernement, on est clairement occupé à supprimer toutes les ILA, sauf celles pour Mena. Or, même si une crise internationale ne provoque pas directement un afflux migratoire, entre-autres parce que les filières mettent un certain temps à s’organiser, il semble utopique de penser qu’il n’y aura pas de nouvelles vagues d’immigration. Et là, Mme De Block devra pédaler pour les rouvrir… Ainsi va la vie en politique : on ne lésine jamais sur les économies, même si l’absurde est aux commandes.
Et cela fait des années que le fédéral se déleste sans cesse de ses responsabilités vers l’échelon le plus bas de la chaîne de la solidarité qu’est le CPAS. C’est affolant lorsqu’on constate la montée en puissance depuis quelques années, du nombre de nouvelles demandes introduites au CPAS, alors qu’en définitive ce dernier n’a qu’une compétence résiduaire. Or, les CPAS passent leur temps à faire des avances : avance sur pension, avance sur chômage… Cela devrait tout de même être perçu comme le signe du mauvais pouls de l’Etat fédéral ? Mais non. On continue donc en toute impunité à nous faire jouer au banquier !
Di Rupo, un gouvernement avisé ?
Non. Et c’est toujours une question de personne et de cabinet. En 2002, Johan Vande Lanotte (SPA), ministre de l’Intégration sociale en ce temps-là, nous a concertés durant 1 an et demi pour l’élaboration du droit à l’intégration sociale. C’était le bon temps, même si je crois que nous avons loupé le coche, entre autres en matière d’individualisation des droits. Vaste débat toujours d’actualité…
Cependant, comme je l’ai expliqué, il y a bel et bien une concertation mensuelle avec le fédéral. Elle a naturellement lieu en présence du cabinet de la secrétaire d’Etat à l’intégration sociale et à l’asile, mais de Madame De Block, point de présence. Elle m’avait pourtant affirmé en arrivant que « c’est très bien, on se concertera ». Mais voilà, je ne l’ai rencontrée que 2 fois depuis qu’elle est là, et j’attends toujours…
Non, ce gouvernement-ci n’est définitivement pas un gouvernement de concertation. Il y a peut-être des raisons objectives : ils ont mis un certain temps pour arriver, ils ont donc peu de temps pour réussir. Il ne faut pas non plus perdre de vue que c’est un gouvernement d’union nationale sans Ecolo ni FDF -, et que forcément, les compromis internes sont si sensibles qu’on ne peut y toucher. On comprend donc aisément que dans leur mode de fonctionnement, la concertation…c’est à la limite du temps perdu.
Ah ! ça ira
L’avenir ? Je ne le vois pas bien. Cela dépendra bien entendu des couleurs des gouvernements à venir. Au niveau européen, nous sommes dans une triple crise : économique, sociale et nationaliste. Et si, à notre niveau, nous y ajoutons l’esprit communautaire et linguistique, ça ne risque pas d’arranger nos affaires.
Dans un tel climat, nous ne pourrons faire autrement que de réorganiser les solidarités, en conservant à l’esprit le modèle de la Sécurité sociale. Mais nous devrons, et c’est terrible, la revoir à la baisse. Car je suis convaincu que si nous ne prenons pas nous-mêmes les mesures qui s’imposent, et qui ne plairont à tout le monde, notre sécurité sociale s’effondrera
Sans oublier que le statut bi-communautaire (NDLR : une partie des matière sociales bruxelloises sont gérées de façon bilingue, à la Cocom) représente l’une des particularités majeures de Bruxelles. Actuellement, cela semble de piètre importance, mais demain après le transfert de compétences, cela prendra une fameuse envergure. Car le bi-communautaire étant géré par deux ministres, cela signifie grosso modo que chacun a droit de veto sur l’autre. Voilà encore une mesure qui ne simplifie ni les processus, ni la rapidité décisionnelle ! Il est ainsi de notoriété publique que, si un ministre francophone signe un arrêté, le ministre flamand s’assoira dessus en attendant mollement que le délai soit forclos, et inversement. C’est pourquoi ce droit de veto me semble des plus inquiétants dans le poids que prendra bientôt le bi-communautaire. Et je peux vous assurer qu’actuellement, aucune clé n’est favorable à Bruxelles au niveau de la régionalisation.
Ajoutez à cela que, pour une grande partie de politiciens flamands, la fusion des communes semble être une riche idée, ce qui induit également la fusion des CPAS. J’ai d’ailleurs bien entendu M. Thielemans, ancien Bourgmestre de Bruxelles-Ville qui, en nous annonçant qu’il nous quitte, nous avise qu’il faudrait fusionner en six communes. Pourquoi en six et pourquoi pas en une ? Tout est imaginable.
Au niveau des CPAS, il semble également qu’on se dirige vers une plus grande informatisation des rapports sociaux. Je clame depuis longtemps qu’un jour les assistants sociaux n’auront plus qu’à cocher des cases dans les rapports, et ce jour-là plus de doute : nous nous réveillerons tous au son funeste de « Big brother is watching you ».
Mais peut-être esoignant les talons d’Achille du CPAS (dont par exemple la non individualisation du droit ou l’homogénéisation des aides fournies pas les différents CPAS), on pourrait avoir une chance. Avec toutefois le risque d’uniformisation à la baisse. Donc oui, des mesures seront à prendre en interne, et des outils communs à défendre au niveau des fédérations, mais nous ne pourrons pas faire l’économie d’une introspection.
L’avenir des CPAS n’est donc pas rose, mais j’espère qu’il soit à l’optimisme…