09/09
2020
par Par Magali Meert, Aissati Yousra, Karolina Marciniak et Cécile Celier, étudiantes du MIAS1 de l'IESSID, catégorie sociale de la Haute École Bruxelles Brabant (Bruxelles)

Petits (titres)services entre amis

Quand les acteurs des titres-services s’arrangent pour passer outre les politiques publiques mises en place et obtenir quelques avantages en toute illégalité.

Le titre-service est une politique sociale instaurée par la loi du 20 Juillet 2001, «visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité»[1]. Le gouvernement fédéral a été compétent en la matière jusqu’au 1er Juillet 2014, date à laquelle les régions sont devenues garantes du système. La sixième réforme de l’État a donc permis à la Région de Bruxelles-Capitale d’adapter le système des titres-services aux spécificités de son territoire.

Une étude IDEA Consult[2] rappelle dans son évaluation de 2018 les objectifs de base de ce système: l’augmentation des emplois au sein de groupes spécifiques du marché de l’emploi, la réduction des activités professionnelles dans le circuit noir ou gris et l’amélioration des conditions de vie des familles en laissant certaine tâches domestiques à d’autres.

Rappelons qu’il est possible pour un client d’acheter cinq cent titres-services maximum par année. Le patron d’une entreprise de titres-services nous explique qu’il espère que cette limitation soit supprimée car, rappelons-le, les quatre cent premiers titres sont au prix de neuf euros et les cent derniers au prix de dix euros. Seuls les cent cinquante premiers titres achetés donnent droit à une réduction d’impôts.

Mais tous les objectifs visés par ce système sont-ils atteints ? Sur le terrain, nos interlocuteurs constatent certains dévoiements[3].

Le travail au noir

La même évaluation de 2018 reste vague quant aux chiffres sur l’évolution du travail au noir dans ce secteur. Le seul indicateur que l’on nous donne est que 8% des clients des titres-services employaient précédemment leurs aides ménagères de manière illégale. Un syndicaliste nous confirme que le travail au noir n’a jamais fait l’object d’attention dans les évaluations du système.

Agnès, travailleuse depuis vingt-neuf ans en tant qu’aide-ménagère, dont dix années non-déclarées, affirme que, même si ce cadre légal lui a permis d’accéder à certains doits sociaux (assurance-maladie, cotisations pour la pension, mutuelle et vingt-et-un jours/an de congés payés), elle continue à effectuer des heures supplémentaires non déclarées. Ainsi, sur un travail déclaré de trente-huit heures par semaine chez son client, elle effectuera dix heures en plus au noir et sera mieux rémunérée pour ces heures que par la société de titres-services.

Le patron interrogé est d’ailleurs au clair avec ce qui se passe en-dehors des heures de prestation et ne peut que rappeler les clauses du contrat et les risques que les travailleuses encourent en cas d’accident. Les aides-ménagères continuent à avoir recours à cette forme de rémunération car elles savent que leur pension ne sera pas suffisante pour subvenir à leurs besoins. Au moment de leur arrivée à la pension, elles savent qu’elles auront le stricte minimum et qu’elles vont tomber sous le régime de la GRAPA[4]. Les clients aussi tirent des bénéfices du travail au noir, dans la mesure où certains choisissent d’embaucher une personne particulière, en qui ils ont confiance, quitte à la payer deux ou trois euros de plus, par exemple lorsqu’ils partent en vacances, augmentations ou primes que le système des titres-services ne permet pas.

L’entreprise de titres-services quant à elle ne retire rien du travail au noir, elle n’est que l’intermédiaire entre les aides-ménagères et les clients. Les patrons posent peu de cadre à ce sujet au risque de perdre le client et la travailleuse «car souvent cest le lien entre ces deux derniers qui est le plus fort».

Et pour lÉtat?

Comme nous l’explique le syndicaliste, l’introduction des titres-services a permis de «blanchir une certaine situation», mais le système a coûté beaucoup plus d’argent public qu’il n’en génère même si les personnes à l’emploi cotisent. Finalement, même si les études montrent que le taux de chômage baisse, l’Etat pense créer de nouveaux emplois mais en réalité «on a juste fait passer quelqu’un d’une colonne A dans une colonne B et donc c’est bon au niveau des chiffres.» A vrai dire, on fait en sorte que ces personnes sortent de la case chômage alors que le budget du système provient aussi de la sécurité sociale.

D’un autre coté, ce cadre législatif a permis la mise en concurrence de nouvelles entreprises employant les titres-services et ainsi de marchandiser une activité qui était auparavant destinée aux ALE[5].

Vers une extension des activités

Aujourd’hui, on parle d’étendre les activités de ces entreprises à d’autres services. Le directeur de l’entreprise nous fait un rappel des activités légales actuelles à Bruxelles : nettoyage à domicile, lessive, repassage, raccommodage du linge et préparation des repas. Ainsi que des aides en dehors de la résidence du client : courses ménagères, repassage dans un local d’entreprise et transport des personnes à mobilité réduite. Il stipule que le baby-sitting et la garde des personnes âgées sont des nouvelles demandes fortes de la part des clients. « Ainsi, 68 % des utilisateurs et 65 % des non-utilisateurs voudraient faire appel à des activités non autorisées par les titres-services. »[6]

Cependant, Agnès dit effectuer d’autres tâches demandées par ses clients telles que : du baby-sitting, du nettoyage de cabinet professionnel, du jardinage, des soins esthétiques et même tenir compagnie à une personne âgée.

Dans la même étude d’IDEA Consult, une personne interrogée, seule avec son enfant, fait le constat qu’il est difficile d’effectuer certaines taches manuelles et pour lesquelles elles ne se sent pas apte.

Des inégalités

En 2018, 98% des travailleurs des titres-services sont des femmes et pour 24% d’entre eux, sont nés à l’étranger[7]. L’extension des activités ne permettrait-elle pas d’ouvrir les emplois à des hommes? Et d’un autre coté ces évolutions ne viendraient-elles pas renforcer les clichés sur la répartition des tâches et des compétences liées au genre : les femmes au ménage et les hommes au bricolage ? Le débat est ouvert.

Une autre inégalité observée est le fossé entre les classes sociales. Le syndicaliste nous rappelle toutefois que la logique politique syndicale classique progressiste actuelle est davantage tournée vers la réduction du temps de travail, le partage des biens et des tâches pour tous. «On est plutôt dans le modèle Monsieur et Madame travaillent beaucoup, mais on demande à une autre dame de travailler pour nous, souvent étrangère. Ce système légal permet davoir ‘sa black ou sa beure à domicile’.»

Notons d’ailleurs qu’en rédigeant cet article, nous constatons que nous avons naturellement féminisé les acteurs du système. Seul le patron et le syndicaliste sont de genre masculin. Nous sommes forcés de constater que le titre-services renforce les inégalités hommes/femmes.

Le système déjoué

En effectuant nos recherches, quelques situations frauduleuses nous ont été dévoilées. En voici deux exemples.

Dans un premier cas de figure, un client rachète des titres-services à une gestionnaire pour disposer de son aide-ménagère deux fois plus longtemps. La gestionnaire en retire un bénéfice dans la mesure où elle obtient la déduction fiscale. Le client, qui n’a pas droit à cette déduction, est aussi avantagé dans la mesure où cela lui coûtera moins cher que d’employer la travailleuse au noir. Par exemple, l’aide ménagère déclarant dix-neuf heures par semaine chez son client et dix heures en plus au nom du gestionnaire. Dans le cas d’un contrôle, toutes les parties doivent s’entendre car bien entendu dans cette situation l’aide ménagère ne travaille pas chez la gestionnaire.

Dans un autre cas de figure, prenons l’exemple d’une travailleuse, déclarée vingt heures dans une société de TS, qui rachète des titres services à un client fictif (généralement, le client est une connaissance). Celui-ci signe un contrat en bonne et due forme, bénéficie de la déduction fiscale, mais n’emploie pas la travailleuse. Le temps qu’elle est censée passer chez ce client fictif lui permet d’avoir une autre activité au noir, dans l’Horecca en particulier, mais pour laquelle on obtiendra toutefois une contrepartie de la société de TS. Pour la travailleuse, l’avantage est donc triple: elle bénéficie de la différence entre l’achat du TS et la rémunération à laquelle elle a droit par heure de travail, c’est-à-dire trois euros de l’heure. Ensuite, elle bénéficie des différents droits sociaux acquis par son contrat de travail et enfin, elle tire une rémunération d’une autre activité non-déclarée.

Pourquoi donc certaines personnes, bénéficiaires de cette politique sociale, continuent-elles à se trouver dans le circuit du travail au noir, malgré tous les acquis liés à leurs droits sociaux ? Il faut avant tout se rappeler que si les travailleuses sont descendues dans la rue, c’est aussi pour obtenir un meilleure salaire et surtout une reconnaissance leur apportant toute la dignité qu’elles méritent.

 

 

[1]  Loi du 20 Juillet 2001 MB 11 Aout 2001, Loi visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité.

[2]  IDEA Consult (2018), Une vision à 360°, Évaluation du régime des titres-services pour les services et emplois de proximité, Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale.

[3]  Pour une meilleure compréhension de l’article nous employons les mots « travailleuses » et « aide-ménagères » de façon indifférenciée, et nous utilisons l’abréviation TS pour parler des titres-services.

[4]   GRAPA, Garantie de Revenus aux personnes âgées, allocation sociale, Loi du 22 Mars 2001.

[5]   Agence Locale pour l’Emploi

[6]   IDEA Consult (2018), Une vision à 360°, Évaluation du régime des titres-services pour les services et emplois de proximité, Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale, p77

[7]   Idem 5, p.42

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