Police et jeunes: «Je t’aime, moi non plus»
«Je t’aime, moi non plus» est le leitmotiv des rapports sulfureux entretenus entre jeunes et police. Sur le ring comme autour de la table, retour sur un face-à-face intense à l’occasion de l’événement BruXitizen. Jeune: «Espèce particulière répondant également au nom de fouteur de merde». Police: «Individu raciste et violent». La caricature est presque trop facile et pourtant bien réelle dans l’imaginaire de certains. Depuis les émeutes de mai 1991 à Bruxelles, les tensions fréquentes entre forces de l’ordre et jeunes occupent une place de choix dans les médias. Quelles solutions sont apportées pour désamorcer les tensions? Malgré le manque de médiatisation dont elles pâtissent, des initiatives allant dans ce sens sont mises en œuvre, à l’image de BruXitizen. Au menu de l’édition 2014, trois thématiques: emploi, police et jeunes. L’événement fut l’occasion de revenir sur les relations jeunes-police, l’objectif premier étant d’inclure chacune des parties dans un processus réflexif autour des solutions envisageables.
BruXitizen: un public (trop) ciblé?
Thibault, 23 ans, se fait «très souvent contrôler», nous dit-il. Mais Thibault raconte ne pas avoir l’occasion de prendre la parole. Lui aussi en aurait des choses à dire sur la police. Pourtant le jeune homme confie se sentir tenu écarté des discussions. «C’est toujours les mêmes qu’on voit», dit-il. Ce qu’il veut dire c’est que les jeunes, comme lui, sont habituellement invisibles dans les médias, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur les relations jeunes/police. Ou alors ils ont le mauvais rôle…
Certes, BruXitizen offre une plateforme de dialogue aux jeunes, mais quels jeunes? Si le projet ambitionne d’atteindre les jeunes en général, n’a été vu sur les lieux qu’un type bien précis de ceux-ci. Soit principalement de jeunes garçons issus de l’immigration africaine et habitant Molenbeek. Malgré une volonté de déconstruction des stéréotypes, il semblerait que les espaces de rencontre mis en place participent à leur tour à la perpétuation des clichés dénoncés. Ces jeunes seraient-ils donc les seuls à rencontrer des problèmes avec la police? Il semble difficile de s’éloigner des préjugés dans une telle configuration.
«Jeunes à problèmes»
«Les jeunes à problèmes, on les connaît. Ils ont un certain profil, un certain style et, à Molenbeek, vu la sociologie du quartier, ils sont généralement arabes», dit M. Collignon, commissaire de police à Molenbeek. C’est statistiques à l’appui que M. Collignon se permet un propos aussi osé pour provoquer la discussion. Tout en rejetant toute intention de stigmatisation.
Chaima El Yahiaoui, criminologue, s’est de son côté intéressé dans le cadre de son mémoire à la vision qu’ont les jeunes (filles et garçons) sur la police. Vingt-trois individus âgés de 14 à 21 ans ont été interrogés. Manque de respect, volonté d’humilier et fréquence des interventions ont été systématiquement pointés du doigt par les répondants. Au centre des tensions? La stigmatisation dont serait l’objet cette catégorie de jeunes. Stigmatisation d’ailleurs confirmée par une enquête réalisée sur une poignée de policiers (18 exactement). L’étude révèle que dans l’imaginaire de la plupart de ceux-ci (16 policiers sur 18), la figure du jeune (à problèmes) est systématiquement celle d’un garçon âgé entre 13 et 18 ans. Bonne nouvelle pour les filles qui se voient épargnées.
Dialogue difficile
BruXitizen, c’est deux jours. Deux jours pour dialoguer, essayer de se comprendre et surtout avancer des solutions. Autour de la table, des professionnels du secteur (avocats, travailleurs sociaux, coordinateurs de maison de quartier, etc.). Mais chacun campe sur ses positions. Il semble y avoir les anti-policiers, prenant incessamment la défense des jeunes, et ceux qui pensent que les services de police n’ont rien à se reprocher. Le problème, c’est d’abord l’autre. «Nous, on fait notre travail. On ne fait qu’appliquer la loi. La police c’est une institution. Ce n’est pas à elle de changer. On n’a pas de problèmes avec ces jeunes. C’est eux qui en ont un avec nous», dit un policier présent. «À les entendre, ils vivent dans un monde de Bisounours!», rétorque Houssain, offusqué. Pour cet éducateur social de 34 ans habitué à travailler avec les jeunes, «la police n’est pas totalement clean. Mais c’est ce qu’ils essayent de nous faire croire. Ils viennent ici avec un devoir de réserve, et tiennent tous ce même discours un peu lisse». Houssain questionne la valeur de la parole des intervenants présents. «Les injustices subies par les jeunes sont réelles. Qu’ils cessent de prétendre le contraire», conclut-il lassé. Entre des avis tranchés et des prises de position fermes, difficile de trouver un terrain d’entente.
Former et informer
Au-delà des divergences, tous s’accordent sur deux impératifs: former et informer. D’une part, améliorer la formation des policiers à la multiculturalité et au fait social. Et d’autre part, informer davantage les jeunes sur leurs droits et devoirs face à la police. Pour le commissaire Collignon, les policiers gagneraient en efficacité à apprendre les spécificités socioculturelles des quartiers dans lesquels ils évoluent. Si ce type de formation est peu à peu intégré au cursus des policiers, elle demeure non obligatoire. Pour une autre policière: «Si les jeunes ont une mauvaise image de la police, c’est la faute des parents.» Face à des parents démissionnaires ou récalcitrants à l’institution policière, l’école se doit de prendre le relais. L’objectif est de traiter le problème à la source, avant même qu’il ne devienne problème. Oui mais que faire, alors même les établissements scolaires refusent de collaborer? Jamila, assistante de concertation (voir encadré) dans la zone Bruxelles-Midi, nous confie: «Les écoles ne veulent pas travailler avec nous. Elles ont peur pour leur image. Ça ne les intéresse pas. Il y a 150 écoles dans notre zone, si j’arrive à en convaincre 30, c’est un miracle!» Si les initiatives ne manquent pas, les obstacles se dressent de toutes parts…
Assistant de concertation?
Cette fonction est créée en 1991 par le ministère de l’Intérieur. Le rôle de ces assistants est d’améliorer les relations entre les services de police et la population. Ils organisent des programmes d’intervention dans les écoles et fournissent une aide aux victimes. Ils sont des médiateurs.
Et après?
Lors des débats, nombreux sont ceux qui ne peuvent s’interroger sur les relations jeunes/police sans parler des problématiques que sont le racisme ou l’intégration des immigrés. Ainsi les débats s’envolent et s’éloignent de la véritable question. «Nos jeunes sont systématiquement mis en porte-à-faux. On ne parle que du mauvais et jamais des bonnes choses qu’ils réalisent», dit Houssain. Mais qui se cache derrière ce «on»? Pour Chaima El Yahiaoui, les médias tiennent un rôle important dans la diffusion d’une image stéréotypée de ces «jeunes des quartiers». Houssain conclut: «BruXitizen c’est bien beau, mais, bon… est-ce vraiment utile? Est-ce que ça permet un réel changement?» La question est posée. Il y a BruXitizen, mais qu’en est-il de l’après-BruXitizen? Le sujet jeune-police n’a en tout cas pas fini de mobiliser l’attention. Entre les deux, c’est l’amour vache. «Je t’aime», dit l’un, «moi non plus», répond l’autre. BruXitizen a offert aux deux un espace de rencontre supposé neutre, une parenthèse hors du temps où des solutions ont pu être avancées. Reste maintenant à voir comment celles-ci vont être concrétisée.