03/09
2020
par Par Chaïma Bekkara, Ben Abdallah Mohamed Yassine, Bajou Soufiane et Sahouli Mohamed Saïd, étudiants du MIAS1 de l'IESSID, catégorie sociale de la Haute École Bruxelles Brabant (Bruxelles)

Profilage ethnique en Belgique, une pratique illégale au regard du droit 

Le profilage ethnique est une réalité qui, dans un contexte post-attentats djihadistes, semble avoir augmenté. Comment se fait-il que ces abus d’autorité soient encore présents dans la Région de Bruxelles-Capitale, et quelle est la limite entre mesures de sécurité et abus de pouvoir ?

 

Plusieurs études publiées récemment révèlent des faits plutôt inquiétants quant au non-respect par la police des droits individuels et plus particulièrement de ceux des personnes d’origines étrangères. Quels sont concrètement les droits des individus et les devoirs de la police lors d’un contrôle d’identité ?

La définition du profilage ethnique proposée par Amnesty International consiste en “un contrôle policier motivé par des raisons fondées sur l’appartenance ethnique, la race, la religion ou l’origine nationale supposées, plutôt qu’à des soupçons raisonnables, des indices objectifs ou des critères liés au comportement des personnes concernées”.Ce contrôle au faciès, en plus d’être inefficace, est totalement interdit. Que ce soit au niveau international, européen ou belge, la loi est claire sur son caractère délictuel. Selon les articles 10 et 11 de la constitution belge et, entre autres, la circulaire du 2 février 1993 dans la fonction de police “les contrôles de l’identité de personnes ne peuvent être ni arbitraires ni, hormis certains cas particuliers, systématiques.” Ce genre de pratiques, tels que l’abus de pouvoir, l’usage disproportionné de la force, les paroles et gestes discriminants, et même les passages à tabac sont interdits.

Cependant, la subtilité réside dans la difficulté à pouvoir prouver le délit. Car le contrôle en soi ne représente pas une infraction et fait même partie du travail policier. Mais là où le bât blesse, c’est dans l’intention donnée au contrôle et dans la manière dont il est mené. Pourtant, il reste à préciser que l’ethnicité est parfois prise en compte lors d’enquêtes spécifiques, car elle peut y jouer un rôle particulier. C’est le cas notamment lors des descriptions de suspects.

Lors du contrôle, ne viser qu’une personne ou un groupe de personnes racisées représente une atteinte à la dignité des personnes. Dès lors, il y a lieu de se poser la question de l’image que reflète un tel contrôle pour les victimes.

Pour J., policier depuis 2012 en Région de Bruxelles-Capitale, les policiers ne peuvent pas contrôler toutes les personnes qu’elles croisent en rue, mais il reste évident qu’il existe des comportements qui vont plus vite inciter à des contrôles. C’est ce qu’ils définissent comme des circonstances de temps et de lieux.

Une loi au pouvoir discrétionnaire  

Malgré son interdiction, le profilage ethnique pose encore un problème qui découle principalement du pouvoir arbitraire laissé aux policiers. Ainsi, le corps policier aurait le choix d’interpréter la loi comme il le souhaite, ce qui peut causer des abus allant du contrôle au faciès aux violences policières. L’action d’un policier est donc trop subjective. Par exemple, en ce qui concerne l’usage de la force, les agents de police expliquent que l’on ne peut faire usage de la force que dans certains contextes. Mais il existe quand même une marge d’appréciation, et c’est là que réside la subtilité entre un contrôle permis et un contrôle au faciès. «C’est toi qui sens la situation ou le danger», nous déclare M., policier dans la Région de Bruxelles-Capitale depuis plus de 16 ans. À tout moment, le policier va pouvoir se justifier en dr disant “Je me sentais en danger, et comment sur le moment aurais-je pu objectivement l’évaluer ?”, analyse Chaïma El Yahyaoui, criminologue.

Pour M., les contrôles peuvent se faire et ensuite donner libre cours à la justification. À savoir, si vous regardez une personne et qu’elle détourne son regard vous pourriez dire qu’elle avait le regard fuyant et qu’elle refusait de soutenir le regard. Ou au contraire, si la personne soutient le regard, qu’elle soutenait le regard et qu’elle montrait un comportement arrogant et de défiance. Dès lors, tout dépendra de la justification donnée au contrôle.

Les plaintes des victimes sont négligées

Une seconde problématique est de nature statistique. Effectivement, en Europe, les études réalisées sur le sujet sont le plus souvent qualitatives. Elles sont importantes afin de mieux cerner le problème, du côté à la fois des victimes et du corps policier, mais ces données ne permettent pas de mesurer l’ampleur du problème ni de mettre en place des mesures efficientes. Seul le Royaume-Uni dispose de données concrètes, ce qui est alarmant lorsque l’on sait que cette pratique illégale est récurrente.

Quant à la Belgique, plusieurs problèmes nuisent à la validité de ce type d’études. Premièrement, les victimes hésitent à porter plainte de peur des répercussions que cela pourrait avoir. Menaces, affaires classées sans suite ou plaintes refusées, nombreux sont les cas non-répertoriés. Seules les affaires liées aux violences physiques arriveraient en justice et ce, sans forcément garantir une issue positive pour la victime. Conséquemment, il est impossible d’avoir une idée précise du nombre de victimes.

Chaïma El Yahyaoui, ayant travaillé en collaboration avec la Ligue des droits humains à propos du profilage ethnique, a pu se concentrer sur le ressenti des jeunes victimes. D’après elle, il existe concrètement très peu de recensements et, dans les personnes interrogées, rares sont celles qui entament une procédure judiciaire. Les victimes auraient conscience du manque de suites, ainsi que des coûts que cela engendre. Le policier, quant à lui, peut dissuader la victime en portant plainte pour outrage et rébellion.

J. explique, à son tour, que pour quelqu’un qui grandit à Bruxelles dans des quartiers considérés comme ‘sensibles’, se faire contrôler plusieurs fois par jour par différentes patrouilles de police peut être agaçant. Selon lui, lors de ces contrôles, il faut rester le plus objectif possible, quelle que soit la personne en face de nous. L’agent reste au service de la population et du citoyen, quelle que soit le lieu où il pratique sa fonction. Dans ces quartiers les gens méritent le même service de police que dans les autres quartiers.


Des sanctions trop légères 

Concrètement, quelles seraient les sanctions subies par un policier reconnu coupable de profilage ethnique ? Selon l’agent M., au-delà d’une mise à pied, il n’existe pas de sanction par rapport au contrôle en tant que tel, mais cela serait plutôt en cas de contrôle abusif et  de violences policières que des mesures pourraient être prises. «Au niveau pénal, généralement comme ce sont des policiers, s’ils ont fait usage de la force et de manière très violente, cela pourrait engendrer des peines d’emprisonnement avec sursis. Pourtant, il est très rare que des peines d’emprisonnement soient encourues. Le plus souvent, nous tenterons de résoudre la situation au civil et au travers d’arrangements», rapporte Chaïma El Yahyaoui. Mais le plus souvent, le manque de preuves nuit à la victime, et les policiers restent impunis.

Chaïma El Yahyaoui insiste notamment sur les cas particuliers de violence qui sont les seuls ayant des conséquences : «Généralement, les affaires arrivent au niveau judiciaire parce qu’à un moment donné, il y a eu violence policière. S’il n’y a avait pas eu usage de violence  jamais cette question de profilage ne serait arrivée sur le tapis, car dans ces cas il y a beaucoup plus de preuves.»

Ainsi, pour une victime, faire l’objet de violences physiques serait sa seule ‘chance’ d’intenter une action en justice. Concrètement en ce qui concerne la question du profilage ethnique, il est beaucoup plus difficile d’objectiver en termes de preuves et la seule instance pouvant réceptionner une plainte en dehors du commissariat de la zone concernée reste le Comité P, un organe interne à la police.

Un public non-averti

Si le profilage existe c’est entre autres dû à une méconnaissance, d’une part, des droits des victimes et d’autre part, des devoirs des policiers. Le manque d’information et de sensibilisation de la population face à cette problématique permet au corps policier d’induire ses propres membres en erreur, et d’abuser de son pouvoir d’autorité envers les individus contrôlés. En effet, certains policiers apprennent, par leurs confrères, qu’ils peuvent refuser les plaintes, ce qui est contraire à la loi. D’autres protègent volontairement leurs collègues, en connaissance de cause. Les victimes, quant à elles, ne connaissent pas toujours leurs droits et acceptent les décisions émanant de la police.

Chaïma El Yahyaoui nous explique une situation de contrôle au faciès dont elle a été témoin : en voulant porter plainte au commissariat de Schaerbeek, le policier aurait refusé de prendre la plainte, en se justifiant : “Je suis désolé, je ne peux pas prendre une plainte contre mes collègues”. « Le policier était dans l’obligation d’acter un PV, mais il était convaincu qu’il ne pouvait pas, ce n’était pas juste un moyen de dissuader », explique la criminologue.

Récépissé, une solution efficace ?

Afin de remédier au problème, plusieurs solutions ont été envisagées. La Ligue des droits humains a émis plusieurs recommandations dans le but de lutter contre le profilage ethnique. Il s’agirait, entre-autres, de mettre en application les récépissés. Cette méthode, qui est un formulaire remis par les policiers à une personne contrôlée, reprendrait des données pertinentes telles que l’origine ethnique, le motif du contrôle, et ses résultats. De ce fait, munie de la copie du récépissé, une personne contrôlée aurait une preuve matérielle en cas de contrôles fréquents, et pourrait se défendre dans l’éventualité d’un nouveau contrôle.

Ce procédé pousserait les agents à la réflexion et renforcerait la transparence dans leur travail. D’autre part, la récolte de ces données permettrait de compléter le manque cruel de données statistiques.

Néanmoins, cette démarche est aussi critiquée pour plusieurs raisons, comme la difficulté de mise en œuvre sur le terrain ou la demande d’informations d’ordre privé. Certains pays tels que l’Angleterre ou le Canada l’ont déjà adoptée mais n’ont pas obtenu les résultats escomptés, car le profilage ethnique n’a aucunement disparu.

Pourtant, amener le système politique actuel à remettre en cause ces pratiques et à mener une réflexion sur le travail policier de rue semble essentiel. Il est évident que le récépissé ne représente qu’une partie des solutions possibles pour lutter contre la problématique. L’amélioration des formations du corps policier, un système de réception des plaintes plus efficace et des approches citoyens-agents sont des solutions envisageables.

Certains groupes de travail se sont déjà penchés sur cette question dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean, en réunissant des jeunes citoyens et des policiers. Plusieurs activités sportives ont été organisées afin de créer un contact entre les agents et les citoyens. Cela permet d’apporter un climat de confiance apportant plus de sérénité des deux côtés.

Afin d’apporter des solutions à cette problématique, il est aujourd’hui impératif de mettre en place des dispositifs législatifs afin d’éviter tout délit de faciès. De ce fait, instaurer une instance externe au sein des départements policiers s’avère primordial. Cela permettrait donc d’avoir une réelle incidence sur les sanctions à infliger et par conséquent, obtenir des chiffres de recensements plus réalistes et actualisés.

 

 

 

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