11/05
2015
par Harmonie Mavungu Nsebo, Sylvie Isabelle Latrubesse, Amelie Scieur, étudiants du MIAS1 de l’IESSID, catégorie sociale de la HE Paul-Henri Spaak

Quel avenir pour le Centre Interfédéral pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme?

Organisme connu pour ses missions de lutte contre le racisme, l’intégration, la promotion de la diversité et les droits fondamentaux des étrangers, le Centre Interfédéral pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme a fêté ses 20 ans le 15 février 2013. Face à notre système politique si complexe, face à un actuel gouvernement de «centre-droit» dont certaines figures politiques en effrayent plus d’un, face aux propos d’hommes politiques qui ont déjà fait polémique, face au transfert de plus en plus important des compétences, l’avenir d’un tel organe interroge !

Le principal point de départ est l’adoption de la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale le 21 décembre 1965, suite à la période de décolonisation et des horreurs de la deuxième guerre mondiale. Par la suite, plusieurs propositions de lois ont été déposées en vue de lutter contre toute forme de racisme et de xénophobie. De nombreux attentats racistes et/ou antisémites se sont déroulés dans les années 80, ce qui a entrainé l’organisation de plusieurs manifestations nationales.

Suite à de nombreux évènements liés à l’immigration engendrant un regard négatif sur ce phénomène, un commissariat royal composé de Paula D’Hondt (CVP) et Bruno Vinikas (PS), fut fondé afin de se doter d’une définition et d’une analyse sur une politique des immigrés. C’est ainsi qu’il a été décidé de fonder une institution dite «permanente» de lutte contre le racisme et de promotion de l’égalité des chances et de l’intégration.

Le centre a vu le jour au départ de la loi du 15 février 1993 (modifiée en août 2013). Selon ce texte, ses missions consistent à «promouvoir l’égalité des chances et combattre toute forme de distinction, d’exclusion, de restriction» à tout niveau (orientation sexuelle, âge, nationalité, handicap, etc). Bien qu’il s’agisse d’un service public, le centre exerce ses missions de manière indépendante. Il est à préciser que cette institution, quasiment unique en Europe à l’époque, s’est dédoublée et, dès lors, se base sur deux piliers principaux : d’une part, la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des chances, et d’autre part, la migration.

Ce dernier volet défend, au niveau fédéral, non seulement le respect des droits fondamentaux des personnes étrangères, mais examine aussi l’analyse de la nature et l’affluence des flux migratoires. Enfin, la lutte contre la traite des êtres humains est également un objectif poursuivi par ce volet1. Concrètement, le Centre est amené à établir des recherches et dans cette perspective, à dresser des avis et des recommandations aux pouvoirs publics ainsi qu’aux institutions privées. Il a pour aussi la mission de formuler et de négocier des solutions grâce au recueil des dossiers individuels de victimes de comportements racistes. Cette démarche consiste à accompagner la personne tantôt par l’intermédiaire des conseils, par voie de médiation, tantôt devant les tribunaux selon la gravité de la situation.

En Belgique, en termes politiques, l’égalité des chances demeure un thème dit transversal au niveau fédéral, englobant le logement, l’emploi, l’enseignement, Internet, et autres. Cette question est alors inévitablement omniprésente, et ce tant au niveau fédéral que local ! Face à cette réalité, le Centre est devenu interfédéral depuis juillet 2012, grâce à l’accord de coopération entre l’Autorité fédérale, les Régions et les Communautés, le but étant de rendre le centre plus accessible aux citoyens. Comme rappelé ci-dessus, les partis politiques à la tête du gouvernement actuel sont de «centre- droit». Or, le centre de l’Egalité des Chances est une institution fondamentalement voulue et défendue par le parti socialiste dit «de gauche». Dans cette perspective, on peut s’interroger sur le degré d’influence de la philosophie politique par rapport à la concrétisation de la matière.

Certaines inquiétudes liées à l’organisation du centre sont bel et bien présentes : A titre d’exemple, la nomination d’un administrateur opposé à la loi anti-discrimination au sein du Centre par la N-Va a suscité la polémique. Force est de constater qu’au premier abord, la vision politique de cet homme va à l’encontre de la philosophie du Centre.

Dès lors, comment le centre pourrait-il gérer la finalité et l’organisation de l’égalité des chances au vu de la conception du monde de la majorité politique ? Comment le Centre peut-il faire face à ce «malaise» ? Notons également que la secrétaire d’état chargée de cette matière (Elke Sleurs) est elle-même membre de la «N-VA».

La N-Va, danger pour l’avenir du Centre ?

Selon Edouard Delruelle, ancien directeur adjoint du Centre, un des administrateurs actuels aurait une vision ultralibérale de la société. Toutefois, selon lui, «sa seule voix n’aurait pas vraiment d’impact dans la gestion quotidienne du Centre. Les choses deviendraient problématiques si d’autres membres du Conseil d’administration suivaient l’opinion de l’homme politique»[1].

Un travailleur du service «Diversité» au sein du Centre a accepté de répondre à cette interrogation : «Elke Sleurs va nous compliquer la vie (…) Elle peut influencer le Centre via des injonctions, mais il faut également savoir que le Centre est un service public autonome. Elle peut exercer des pressions mais elle ne peut pas imposer ».

Il poursuit son raisonnement : «Quand il pourrait y avoir une influence politique, le centre peut se voir dans l’obligation de réagir et de refuser certaines injonctions qui ne concordent pas avec les missions du centre. (…) Il construit un outil pour objectiver les choses entre la société civile et politique. Il est dans une situation plus médiane, médiatrice, diplomatique et essaye de faire en sorte que le ministre évolue et adopte des changements. Mais, s’il faut manifester, ce n’est pas le rôle du Centre qui se veut être un acteur de changement tout en étant dans le système en évitant toute confrontation directe avec les politiques».

Il semblerait que la N-VA, parti qui doit son succès en partie aux anciens électeurs de l’extrême droite, ne met pas en péril ni la conception, ni l’organisation du Centre. Dès lors, il paraît prématuré de parler d’une éventuelle déchéance du centre grâce à son statut et son rôle exceptionnel, malgré les inquiétudes soulevées.

Cependant, force est de constater que nous sommes face à une contradiction fondamentale : à l’heure où le dialogue social et la recherche d’un consensus sont devenus importants pour instaurer une coopération, c’est de toute évidence que notre petit pays a des difficultés à appliquer cette approche et reste en retard par rapport à d’autres pays européens.

L’employé du centre nous met, en effet, en garde : «La coordination est compliquée car il y a beaucoup d’asymétries. Les partages des compétences ne sont pas les mêmes partout. Par exemple, la matière du logement en Wallonie est une compétence régionale alors que chez les germanophones elle est communautaire. A Bruxelles c’est encore plus complexe, la formation professionnelle est une matière Cocof pour le versant francophone, mais chez les flamands ce n’est pas régionalisé, c’est la Communauté flamande qui intervient.»

Par ailleurs, au-delà des inquiétudes liées à l’élection de la N-Va au gouvernement fédéral, la réalité politique de la Belgique reste relativement complexe : «Du côté de la Flandre, la N-VA a dit qu’elle voulait faire un centre flamand et pas un centre interfédéral et donc, si ce Centre était créé, la Flandre couperait les subsides, ce qui ne sera pas le cas car les autres partis devraient adhérer» nous dit le membre du Centre. Cet exemple démontre une Belgique fortement complexe où les compétences se mêlent et s’entremêlent faisant même perdre la face aux décideurs politiques.

Or, si la mise en place d’un cadre de référence commun semble si difficile à construire entre le fédéral, les régions et les communautés, comment peut-on construire une politique d’Egalité des Chances digne de ce nom ?

Un Institut National des Droits de l’Homme (INDH)?

Déjà dans le milieu des années 80, Amnesty International a songé à la création d’un INDH. Par la suite, en 1993, l’ONU a demandé à tous ses Etats-membres de mettre en place leur propre Institut National des Droits de l’Homme, en concordance avec les Principes de Paris, qui sont des normes déterminant le statut et le fonctionnement des institutions nationales des droits de l’homme. Cette nouvelle institution prônera une indépendance par rapport à tous les niveaux de pouvoirs : La Belgique ne l’a pas encore appliqué ! Joëlle Milquet [2] (CDH) avait pointé du doigt, pendant son mandat de ministre de l’intérieur sous le gouvernement Di Rupo, la création d’un groupe de travail interfédéral chargé d’élaborer un accord de coopération. Récemment, Elke Sleurs[3] (N-VA) a actualisé ce sujet dans sa note de politique générale, certes de manière abstraite, afin de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme. De plus, cette nouvelle institution pourrait amplifier le poids de la politique de l’Egalité des Chances et englober tous les angles de discrimination. Toutefois, ce projet semble peu réalisable pour le moment car il nécessiterait un accord de coopération ratifié par l’ensemble des parlements (fédéral, régionaux, communautaires).

Et finalement…

L’Egalité des Chances demeure un enjeu majeur dans notre société actuelle. En effet, ayant pour objectif la justice et la démocratie pour tous, cette question parait essentielle pour un meilleur «vivre ensemble». Dans cette perspective, force est de constater que cette question touche l’ensemble des citoyens. Toutefois, ce concept reste flou et abstrait, voire subjectif. Cette notion complexe mérite alors une attention particulière, malgré les progrès qu’elle connaît. D’après Johan Leman, un des fondateurs du centre et directeur de 1993 à 2003, la question sur la diversité reste encore sous valorisée par la société civile.

Le membre du Centre interfédéral se permet de nous rappeler les missions principales de l’institution : «Le centre joue un rôle critique dans la société et peut « faire du bruit », mais l’autonomie absolue n’existe pas car le centre doit se positionner intelligemment dans un champ institutionnel et politique complexe et, si possible, y occuper une position spécifique. Nous ne sommes pas une ONG portant des revendications, nous ne sommes pas non plus un service public exécutant les ordres d’un gouvernement. Nous avons une fonction de monitoring, c.-à-d. observer en permanence l’état de la société du point de vue de l’Egalité des Chances et de la discrimination, de sensibiliser, de former, de recommander et d’interpeller. Nous déployons ces missions de façon stratégique.»

De plus, on remarque, d’emblée que la politique fédérale a moins de poids par rapport au gouvernement Di Rupo sous lequel Joëlle Milquet était vice-première ministre et ministre de l’Egalité des Chances, alors qu’actuellement, cette compétence est à la charge d’une secrétaire d’Etat, Elke Sleurs. Cela pose question quant aux priorités du gouvernement alors que ce sujet, aussi problématique soit-il, est un enjeu fondamental dans la société. Certaines personnes se battent et soutiennent cette idéologie, telles que Françoise Tulkens, ancienne Juge de la Cour européenne à Strasbourg et présidente de la Fondation Roi Baudouin. Toutefois, est-ce que le seul engagement de quelques personnes pèse-t-il assez lourd pour faire la différence ?

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