Les charges patronales au régime
Une comparaison sommaire du taux des charges sociales payées par les employeurs belges sur le salaire de leurs salariés, par rapport à nos pays voisins, permettrait d’évaluer l’impact au niveau de la compétitivité. Selon certains économistes, la baisse des charges patronales constituerait un levier performant et décisif pour relancer l’économie et la compétitivité belges. C’est donc dans ce contexte que le nouveau premier ministre, Charles Michel, a présenté le 14/10/2014 à la Chambre, l’accord de son gouvernement. A la demande récurrente du patronat, ce gouvernement de tendance libérale a pris une série de décisions, notamment celles visant à alléger les charges patronales. Ces mesures devraient permettre aux entreprises de pallier le handicap salarial qu’elles accusent par rapport à leurs concurrentes limitrophes.
Un tel programme est-il conforme aux exigences de l’Europe ?
A la fin du mois de novembre 2014, la Commission Européenne a adressé à l’Etat belge un avis concernant le respect de ses engagements dans le cadre du pacte de stabilité et souligne que « des mesures budgétaires ayant pour effet de réduire le coût du système d’allocations de chômage pourraient […] renforcer les éléments financiers qui freinent le retour sur le marché du travail […]. Le projet de suspension temporaire de l’indexation des salaires et des prestations sociales, assortie de mesures de compensation pour les salaires les plus bas […] devrait améliorer la compétitivité du pays. » Non sans rappeler que « le Conseil (des ministres des Finances de l’UE) avait recommandé à la Belgique de procéder à une réforme structurelle de l’ensemble du système de fixation des salaires. »
Cet épisode nous rappelle que, quelles que soient les politiques menées par les Etats membres, celles-ci doivent être conformes aux injonctions européennes, souvent formulées sous forme d’avis. Pour rappel, fin 1996, la Commission avait déjà officiellement demandé au gouvernement belge d’annuler les aides Maribel bis et ter, accordées depuis 1993 aux entreprises exposées à la concurrence internationale.Inventé en 1981, ce système visait à préserver la compétitivité et l’emploi des entreprises en réduisant les cotisations sociales pour les travailleurs. 1
Quelles mesures sont envisagées?
→ La suppression de la réduction structurelle forfaitaire des cotisations patronales de sécurité sociale ainsi que de la composante de cette réduction pour les hauts-salaires, pour financer la diminution du taux de base des cotisations patronales de sécurité sociale.
– Le renforcement et la simplification de la réduction groupe-cible pour les 3 premiers engagements.
– La suppression de la dispense structurelle de versement du précompte professionnel de 1 % pour financer la diminution du taux de base des cotisations patronales de sécurité sociale.
L’anticipation du renforcement progressif de la dispense de versement du précompte professionnel pour travail de nuit, en équipes et/ou en continu.
L’augmentation de la dispense de versement du précompte professionnel pour recherche scientifique (actuellement de 80 % du précompte professionnel dû).
De toute évidence, le gouvernement Michel compte « moderniser » la fiscalité en diminuant les charges patronales sur le travail. Mais pour pouvoir objectiver l’impact du changement, il serait intéressant d’établir un inventaire des mesures existantes et de se demander ce qui change fondamentalement par rapport aux mesures ciblées.
Un arsenal inextricable de mesures très ciblées :
- Les mesures spécifiques pour l’engagement de jeunes
- Les mesures spécifiques pour l’engagement de personnes plus expérimentées
- Les mesures spécifiques pour l’engagement de chercheurs d’emploi
- Les mesures spécifiques pour former un nouveau travailleur
- Les mesures spécifiques pour former un nouveau travailleur pris en charge par Actiris
- Les mesures spécifiques pour premiers engagements.
Le patronat reproche à ces mesures leur surnombre : plus d’une vingtaine, aussi bien fédérales que régionales. Les patrons se plaignent aussi de la lourdeur administrative pour la mise en route de ces différentes aides à l’embauche. L’autre reproche que l’on peut adresser aux réductions ciblées, c’est qu’elles sont déduites du taux de fiscalité facial (33%) alors qu’en réalité, après déduction, ce taux avoisine les 25%. Ce taux de 33% donne une idée erronée du taux de fiscalité sur le coût du travail en Belgique et aurait un effet dissuadant pour les investisseurs. Les travailleurs, quant à eux, déplorent d’une part, de subir une deuxième discrimination face aux critères très stricts d’éligibilité aux plans d’embauche ; d’autre part, de voir systématiquement leur contrat de travail prendre fin en même temps que la fin des avantages financiers que procurent ces plans. C’est donc à deux niveaux que les nouvelles mesures prônées par le gouvernement devraient apporter une solution.
Quelles sont les implications directes ou indirectes de ces mesures sur la compétitivité des entreprises belges et sur l’attractivité de la Belgique pour les investisseurs ?
Selon un article paru en mars 2012, sur le site du bureau de conseil Price Waterhouse Coopers (PWC) :
«Le Belge est le travailleur le plus productif d’Europe».
C’était la conclusion dune étude maison qui analysait et comparait, sur la période de 2005 à 2010, les chiffres financiers et les bilans sociaux de plus de 600 entreprises établies en Belgique, en les comparant avec un panel de plus de 10.000 entreprises européennes.
Les organismes financiers, les agences d’intérim et les organisations sans but lucratif n’ont pas été reprises dans l’analyse, car leurs résultats ne sont pas suffisamment comparables avec le reste du marché. La comparaison montre également que la Belgique fait partie du top 10 en termes de bénéfice par équivalent temps plein (ETP), mais que ce bon classement est réduit à néant dès que les charges (salariales) très élevées dans notre pays sont, elles aussi, reprises dans la comparaison. Cette structure de coûts constitue en outre un énorme problème pour une économie de services telle que la nôtre.
Pour nous aider à voir plus clair dans ce dossier, nous avons demandé une interview à la collaboratrice d’une association représentative des entreprises non-marchandes.
Alter Echos : Pour comprendre les motivations de l’optique adoptée par le gouvernement Michel et se faire une idée sur les modalités d’application de cette décision, il semble nécessaire d’aborder le sujet du handicap salarial.
« Le handicap salarial, c’est la différence des salaires accordés aux travailleurs par les patrons belges par rapport à ceux des pays voisins : France, Allemagne et Pays-Bas. La loi relative à la compétitivité de 1996 stipule que chaque année, les partenaires sociaux, employeurs et syndicats, sont censés publier les chiffres relatifs au handicap salarial belge. En parallèle, le Conseil Central de l’Economie (CCE) émet annuellement un rapport technique rédigé par des experts, ce rapport fait autorité et apporte des précisions sur les coûts du travail, les subventions salariales et le niveau de productivité. Depuis quelques années, on constate des grandes divergences sur l’étendue de ce handicap selon les sources ».
Alter Echos – Cette disparité pourrait-elle expliquer la volonté de la part du patronat d’appliquer la règle de la linéarité des charges salariales ?
« Pour identifier les acteurs autour de la table, on distingue :
- la FEB 4 : Fédération des Entreprises de Belgique
- UCM 5 :Union des Classes Moyennes
- UNISOC6: défend tout ce qui est soins de santé socioculturel et non-marchand.
- Les syndicats, représentants et défenseurs des intérêts des travailleurs.
Habituellement, depuis 1996 selon le rapport technique, la Belgique cumule un retard de 4,6% en termes de coût salarial par rapport aux pays voisins, ce qui veut dire que le travail en Belgique coûte 4,6% plus cher que chez nos voisins. Ce chiffre a été contesté par les syndicats qui, eux, avancent un différentiel de 0,55%. Les patrons quant à eux, opposent un chiffre de 16,5% ».
Alter Echos – Sur quelle base les patrons fondent-ils le calcul du handicap salarial ?
« Le handicap salarial en Belgique est calculé sur la base du taux facial de 33%, une valeur qui représente les cotisations patronales. »
Alter Echos – Qu’en pensent les syndicats ?
« Les syndicats contre-argumentent qu’il y a beaucoup de réductions appliquées aux rémunérations salariales qui n’ont pas été prises en compte et qu’il y a lieu également de distinguer les hauts et les bas salaires. Et si on fait le calcul, en incluant toutes les subventions salariales qui existent, pour le non-marchand, par exemple, on parvient à une différence de seulement 0,55% de handicap salarial »
Alter Echos – Finalement, à combien évalue-t-on le handicap salarial ?
« Mais, sur la base de la méthodologie classique du rapport technique de 2013, au cours des 4 dernières années, on peut avancer le chiffre de 4,6% de handicap salarial. La FEB prend en compte pour le calcul, les entreprises du secteur marchand qui représentent 46% de l’activité économique en Belgique, ce qui équivaut à 47% de la valeur ajoutée. Cette méthode exclut tous les secteurs non marchands de l’économie, dont les emplois ne sont pas délocalisables. Cette manière de calculer a du sens, car le vrai problème de la compétitivité c’est les coûts salariaux et ce n’est pas de savoir si nos hôpitaux sont compétitifs ou pas.
Pour une entreprise marchande, c’est différent si elle est soumise à la compétitivité internationale et si ses coûts salariaux sont trop élevés, elle va être en retrait par rapport à ses voisins directs et ces derniers vont prendre plus de parts de marché »
Alter Echos – Pourquoi des mesures linéaires plutôt que ciblées ?
« Dans l’accord du gouvernement on parle des réductions patronales, et lorsqu’on aborde la réduction linéaire des coûts salariaux, cela veut dire qu’on applique une réduction au taux facial (cotisations patronales représentant les 33% du salaire brut). Il faut savoir aussi qu’il existe déjà une réduction de base qui atteint les 29% du montant de ces cotisations. A ceux-ci, s’ajoutent également des subsides salariaux pour encourager l’emploi des jeunes et des personnes âgées, par exemple »
Alter Echos – Vous avez parlé de « composante bas salaire » et de « composante salaire élevé ». Qu’est-ce que c’est ?
« Ce sont des composantes qui permettent les rajouts d’autres réductions aux réductions des charges salariales de base pour stimuler les bas salaires.
Exemple, le taux facial réel d’un bas salaire de 1500€/mois est de 18,9% du salaire brut c.à.d. le taux facial moins la réduction fixe moins la composante bas salaire = le taux net réellement payé par l’employeur
Cela veut dire qu’avec toutes ces réductions on est largement en dessous du taux facial de 33% et pour lequel on est, apparemment réputé moins compétitifs que nos voisins.
L’accord gouvernemental justement, propose d’appliquer au taux facial de 33% un ensemble de réductions (résultat de la succession des mesures prises par différents gouvernements). La baisse du taux facial sera visible sur le marché international, en particulier pour les entreprises qui souhaitent s’implanter en Belgique.»
Alter Echos – Cela pourrait-il avoir un effet auprès des investisseurs ?
« Cela veut dire qu’on lisse toutes les réductions qui ont eu lieu historiquement pour avoir un seul taux. C’est une démarche purement mathématique et psychologique pour permettre d’afficher un taux facial moins élevé et de pouvoir s’aligner sur nos voisins et permettre plus d’attractivité au niveau du marché international. »
Alter Echos – Pour tous les secteurs confondus ?
«On distingue trois types de réductions de charge salariale :
- Celles appliquées au secteur marchand
- Les réductions spécifiques, composante bas salaire et salaires élevés.
- Les très grandes réductions fixes avec grandes composantes bas salaire et salaires élevés (ateliers protégés et personnes handicapées).
Le gouvernement parle d’une résorption du handicap salarial d’ici la fin de la législature mais ne précise pas de quel handicap il parle : celui de 0,5% ou plutôt celui de 16,5% ? »
Alter Echos – Ce calcul se fait sur quelle base ?
« Les subventions salariales sont prises en compte pour calculer le handicap salarial, ce qui laisse à penser qu’il s’agit du handicap salarial calculé par le CCE , qui est de 4,6%. Car les autres chiffres repris par le FEB ne tiennent pas compte des subventions salariales. »
Alter Echos – À qui profitera réellement cette mesure ? « Il est évident qu’une réduction des charges patronales peu stimuler l’emploi, cela coûterait moins cher d’engager et on pourrait engager plus.
Le problème c’est qu’on offre une réduction pour les patrons sans aucune garantie que les gains seront réinvestis dans leurs entreprises.
Dans le secteur non marchand, il existe toutefois des mécanismes (Maribel social) qui permettent des engagements supplémentaires dès qu’il y a des réductions de charges.
Seulement, ce fond souffre de faiblesse et ne peut assurer la croissance des salaires au long de la carrière des travailleurs, il faut penser alors à revaloriser ce Fonds afin qu’il aide à assure l’ancienneté des travailleurs.
Donc, ces mesures vont profiter aux employeurs et dans certains cas, ils vont profiter à l’ensemble de l’économie. Ils vont susciter une certaine dynamique de création d’emploi »
Alter Echos – Comment va t- on compenser les pertes des recettes fiscales et comment l’Etat va-t-il financer la sécurité sociale ?
« C’est la question que tout le monde se pose et, personnellement, je n’ai pas de réponse. Cet argent est destiné à la sécurité sociale et au financement de nos secteurs. Cela pourrait donc devenir problématique. Cela équivaudra à des coupes sombres. Il y a encore beaucoup d’opacité autour du budget proposé par le gouvernement. On sait qu’il y a d’autres mesures, comme l’augmentation des accises, qui généreraient des recettes supplémentaires, mais à ce jour, la compensation n’est pas claire.
A coup sûr, il y aura des économies qui vont se faire dans le secteur des soins de santé. Il est certain que si on réduit les cotisations patronales, on devra chercher les montants ailleurs »
Alter Echos – Comment ce gouvernement justifie-t-il ce plan ?
« Le gouvernement Michel estime que la réduction linéaire des charges salariales patronales va permettre la création de nouveaux emplois et par conséquent des nouvelles cotisations sociales, ce qui n’est pas tout à fait faux, mais peut-être trop ambitieux à mon sens, surtout à court terme.»
Alter Echos –La réforme en préparation tiendra-t-elle ses promesses ?
Comme toute nouvelle mesure, celle-ci véhicule toujours une connotation idéologique. En l’occurrence, elle divise selon qu’on se situe du côté des travailleurs ou des patrons. Quant à une éventuelle évaluation de la mesure, il est prématuré d’en proposer. On ne peut faire, au plus, que des projections. En faisant attention à ne pas tomber dans le manichéisme.
La linéarité des réductions de charges patronales, motivée par le double objectif de rétablir un certain handicap salarial et d’améliorer le niveau de compétitivité de la Belgique, n’a de sens que pour certains secteurs d’activités. En règle générale, ceux qui sont orientés vers la prestation intérieure de services, ne sont pas directement concernés car le lieu de consommation n’est pas délocalisable.
Par contre, là où les entreprises belges sont en concurrence avec les entreprises internationales, celles orientées vers l’export par exemple, il y a risque de les voir se délocaliser vers des pays où les salaires seraient plus bas. Le revers de la médaille, c’est qu’elles devront éventuellement faire face à des coûts de transport pour acheminer les matières premières et les équipements. De même pour exporter les produits finis. Ce qui va être gagné d’un côté peut être perdu de l’autre. Ce qui est certain, c’est que la compétitivité d’un pays, par rapport à un autre, ne se construit pas sur un seul paramètre, mais bien sur un ensemble d’indicateurs : par exemple, le prix de l’énergie, le taux de l’impôt des sociétés. Le salaire horaire n’est qu’un de ces indicateurs . Et on ne peut pas l’isoler en lui appliquant un traitement différencié. La compétitivité de la Belgique c’est aussi la main d’œuvre la plus performante d’Europe. La main d’œuvre capable de la plus grande productivité. Du moins dans l’industrie de la construction métallique et de la sidérurgie. La compétitivité d’un pays se juge sur l’état de ses infrastructures et de ses superstructures, sur le niveau de qualification de ses travailleurs, sur la qualité des services administratifs. Sur la qualité et sur les moyens mis à la disposition des activités de recherche et développement. La stabilité politique et la paix sociale qui y règnent.
Finalement, les mesures prônées par le gouvernement Michel, en termes de réduction des charges patronales, ne relèvent-elles donc pas plus de la communication envers les investisseurs nationaux et internationaux, en annonçant un taux facial plus proche du taux net obtenu après réductions ciblées ?»