Sans-papiers, sans travail
Les sans-papiers n’ont pas le droit de travailler légalement en Belgique. Constat et pistes d’espoir avec l’avocate Selma Benkhelifa, avocate spécialisée dans la défense des sans-papiers et membre du réseau d’avocats engagés Progress Lawyers Network.
«En 2009, j’ai dû quitter mon pays, la Tchétchénie, ma maison, ma famille, mes amis, mon travail. J’ai emmené avec moi mes enfants et une valise. Je suis en Belgique depuis 2012 après presque quatre ans d’errance et de souffrance sur les routes d’Europe… Arrivée en Belgique, je rêvais d’obtenir mes papiers de séjour et mon permis de travail afin de vivre enfin en paix avec mes enfants. Aujourd’hui, je n’ai toujours pas de papiers, et donc pas le droit d’exercer mon métier. Je suis infirmière. En Tchétchénie, j’ai travaillé neuf ans dans un hôpital. J’aimais accompagner les gens et calmer leur douleur physique et morale. Aujourd’hui, je travaille au noir comme baby-sitter, femme de ménage ou couturière. Des amis m’ont aidée à trouver du travail. Il y a quelques mois, je me suis occupée d’une personne souffrant d’Alzeihmer. Ça m’a rappelé les moments où je travaillais dans mon pays. Sans la permission de travailler, tous les chemins de la vie sont fermés. Je ne voudrais pas que mes enfants vivent la même chose. Ce que je désire le plus au monde est que mes filles puissent étudier en école supérieure et pratiquer le métier de leur rêve.»
Comme des milliers d’autres sans-papiers en Belgique, Layla n’a pas le droit de travailler en Belgique. La loi belge interdit à des employeurs d’engager des travailleurs sans papiers. Ceux-ci n’ont pas droit non plus de suivre des formations professionnelles. Beaucoup d’entre eux se tournent alors vers le travail au noir dans des domaines comme le ménage, la construction ou la restauration… Les conditions sont difficiles: pas de protection sociale, salaires dérisoires et exploitation ou traite d’êtres humains, dans les cas extrêmes. En théorie, les sans-papiers sont couverts par le droit du travail, c’est-à-dire qu’ils peuvent défendre leurs droits auprès du patron ou même porter plainte à l’inspection du travail, anonymat garanti, pour exiger le salaire minimum, des vêtements de sécurité ou encore des indemnités en cas d’accident de travail[1]… Mais qui ose le faire? «Il faut se mettre dans la peau de ces personnes. Si tout vous est interdit, vous acceptez ce qu’un employeur vous propose, même le minimum», explique Selma Benkhelifa. Et de souligner que les femmes «qui font passer les besoins de leurs enfants avant les leurs sont encore plus vulnérables.»
«Injuste et absurde»
«Priver les sans-papiers de travail est injuste, mais aussi sociologiquement absurde, poursuit-elle. La Belgique est confrontée à une population vieillissante et il manque de personnel pour s’en occuper. En face, vous avez des personnes, notamment issues d’autres cultures pour lesquelles s’occuper des personnes âgées est considéré comme un beau métier, qui rêvent de faire ce métier mais on leur refuse.»
Des exceptions existent aujourd’hui pour les métiers «en pénurie». Mais la procédure est lourde. Selma Benkhelifa donne l’exemple d’un diamantaire juif désireux d’engager un spécialiste syrien de la calligraphie. «Après avis positif de l’Office des étrangers, le calligraphe a dû retourner en Syrie, en pleine guerre, pour récupérer son visa nécessaire à l’obtention du permis B. C’est totalement hypocrite et concrètement impossible à réaliser pour de nombreuses personnes qui ont fui leur pays», dénonce-t-elle.
L’espoir du permis unique?
Comme Layla, de nombreux parents placent tous leurs espoirs dans leurs enfants. «Hélas, explique l’avocate, les enfants n’ont pas plus le droit de travailler. Alors qu’ils passent parfois des années en Belgique, ils sont toujours simplement considérés comme les valises de leurs parents…» Malgré ce tableau très sombre, l’avocate entrevoit un espoir dans la future transposition belge de la directive européenne relative au permis unique. Celle-ci impose aux États membres de fusionner les demandes de permis de séjour et de travail aux travailleurs d’origine étrangère dans une seule procédure et un seul guichet, deux compétences aujourd’hui divisées entre le fédéral et le régional[2]. «Nous travaillons avec la Coordination des sans-papiers à une proposition de loi qui ouvrirait aux sans-papiers la possibilité de demander ce permis unique. Si la compétence passe aux mains des Régions, où les majorités politiques se montrent plus ouvertes que la N-VA au fédéral, cette demande a plus de chance d’aboutir», explique l’avocate. «Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait…», aime-t-elle répéter aux personnes sans papiers pour leur donner du courage.
Layla est arrivée en Belgique, il y a quatre ans, avec ses deux filles. Infirmière en Tchétchénie, elle n’a pas le droit de travailler car elle a reçu un ordre de quitter le territoire et est donc sans papiers. Ses craintes sont encore plus grandes concernant l’avenir de ses enfants. Nous avons décidé d’aborder cette question du «non-droit» au travail, et les solutions qui se dessinent, avec Selma Benkhelifa, avocate spécialisée dans la défense des sans-papiers qui fait partie du réseau d’avocats engagés Progress Lawyers Network.
[1] L’asbl ORCA, Organisation pour les travailleurs immigrés clandestins, active depuis 2005, informe les sans-papiers sur leurs droits et les assiste lorsqu’ils les revendiquent. Infos: http://www.orcasite.be/
[2] Les Régions sont compétentes pour tout ce qui touche à la migration économique mais le fédéral conserve la compétence de l’accès à l’emploi en fonction de la situation de séjour.