Un parent en prison
«On était un mercredi après-midi, j’accompagnais un enfant dans une prison pour rendre visite à son papa incarcéré. Je me souviens, moi, quand j’étais petit, passer les détecteurs de métaux dans l’aéroport, c’était un jeu avec mes frères, on faisait presque exprès de garder des pièces dans nos poches pour entendre l’alarme. Quand le petit garçon a passé le portique de sécurité et que celui-ci a sonné, il a éclaté en sanglots, il était apeuré et effrayé…» Maurice Jansen, chargé de projets au Relais Enfants-Parents
En Belgique, ils sont entre 15.000 et 20.000 enfants à avoir un parent en prison, à vivre avec l’absence d’un papa ou d’une maman au quotidien à un âge où ils s’éveillent, ils grandissent. Comment rendre cette séparation plus vivable et moins traumatisante?
Nombreuses sont les associations qui viennent en aide aux familles concernées. À Bruxelles, nous connaissons la Croix-Rouge qui accompagne notamment les familles pour parcourir le trajet jusqu’à la prison dans laquelle le parent est incarcéré, trajet qui peut parfois être très pénible quand la famille n’est pas véhiculée. D’autre part, le Relais Enfants-Parents, une asbl bruxelloise qui m’a accordé une interview, suit environ 1.600 enfants dont un parent est incarcéré. Généralement, c’est le parent en prison qui entre en contact avec l’asbl pour bénéficier de leur encadrement lors des visites individuelles ou collectives. Dès lors, une équipe de psychologues prend en charge le dossier, analyse la situation familiale, s’entretient avec l’enfant et avec le parent. Elle essaye de comprendre le mieux possible ce qui est faisable pour cette famille déchirée.
LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT AVANT TOUT
Dès le début de la prise en charge, l’enfant et son bien-être sont les intérêts centraux de l’équipe. Il n’est pas question de l’obliger à affronter un milieu carcéral souvent effrayant ni de lui dissimuler la vérité. La communication est la clé. Il est très important de permettre à l’enfant de mettre des mots sur ce qu’il vit et ce qu’il ressent pour que cette épreuve soit la plus facile possible…
LA COMMUNICATION EST LA CLÉ
Selon Pauline Anne de Molina, psychologue au Relais Enfants-Parents, il existe quelques familles qui dissimulent la vérité aux enfants, qui leur disent que «papa ou maman est en voyage ou au travail», et il n’appartient évidemment pas à l’équipe de dévoiler ou de dissimuler la vérité à l’enfant. Par contre, ils appuient le fait qu’un enfant qui ne peut pas s’exprimer sera plus enclin à adopter des comportements agressifs, de repli sur soi ou à suivre le même chemin de vie que son parent incarcéré en grandissant. Ils discutent alors avec les proches de l’enfant pour que ceux-ci comprennent qu’il est important que l’enfant sache où est son parent détenu, pourquoi il est détenu et comment vont se dérouleront les visites en prison.
EN PRISON, MAIS TOUJOURS PARENT!
«L’emprisonnement a un effet pervers qui est d’infantiliser l’adulte», nous explique Andrea, psychologue au Relais Enfants-Parents. Du lever au coucher, tout est agencé et organisé par le milieu carcéral; il en perd son identité sociale et parentale. Il n’est plus qu’un criminel, un détenu parmi tant d’autres qui tirent leur peine. Plusieurs études prouvent que les détenus qui perdent leurs liens sociaux avec l’extérieur durant leur incarcération sont sujets à un risque de récidive hautement plus élevé après avoir été libéré qu’un individu qui aurait maintenu ces liens précieux. En permettant à un parent en prison de garder ce lien, on le responsabilise, on lui permet d’affirmer son identité et sa singularité en tant que parent. On lui offre un rapport avec le monde extérieur et on lui donne surtout une source de motivation pour s’en sortir; ces visites sont de véritables garde-fous. Il n’est d’ailleurs pas rare que l’incarcération aide à renforcer les liens parentaux et conscientise le détenu sur l’importance de son rôle auprès de l’enfant qui aurait pu être négligée avant son emprisonnement.
MAINTENIR CE LIEN À TOUT PRIX
Parfois, le juge de la jeunesse se voit obligé de retirer la tutelle à un parent et de lui interdire les visites de son enfant. C’est une situation courante dans laquelle le lien familial est plus fragilisé encore, mais, comme nous le dit l’équipe du Relais Enfants-Parents, il existe plein de manières de garder le contact quand les visites en coprésence sont interdites. Dans ce cas, des appels téléphoniques, des cartes portales, des dessins ou des photos leur permettent de maintenir et de préserver ce lien.
L’AMÉNAGEMENT DES PRISONS
L’infrastructure des prisons n’offre pas toujours un cadre idéal pour accueillir un enfant. Bien sûr, certaines d’entre elles disposent d’un jardin, de pièces aménagées pour rendre les rencontres le plus agréables possible, mais il existe encore des prisons dans lesquelles les salles de visites se limitent à une pièce lugubre au sous-sol, sans fenêtre et à l’atmosphère hostile. Il est évidemment impossible de déguiser la prison en plaine de jeux; d’ailleurs, la panoplie de gardiens, de portes blindées, de clés, de détecteurs de métaux apparaît comme des éléments inévitables quand nous pénétrons dans les centres de détention, mais, grâce aux dons qu’il reçoit, le Relais Enfants-Parents peut investir dans du matériel pour aménager les salles de visites afin de permettre aux enfants de colorier ou de montrer leurs exploits physiques à papa ou maman, ou de donner la possibilité aux parents de leur lire une histoire ou aider aux devoirs. Un des projets de l’équipe est de mettre en place une mascotte qui accompagnerait l’enfant de l’entrée de la prison jusqu’à la salle de visite, cela rendrait ce parcours parfois stressant moins formel et plus détendu.
INSCRIRE LE LIEN DANS LA LOI
Une proposition de résolution visant à favoriser les relations entre les enfants et leurs parents en prison a été introduite au parlement francophone bruxellois le 1er juin 2018 suivie le 3 juillet 2018 par l’adoption d’un texte dans lequel l’assemblée de la Commission communautaire française reconnaît l’importance dans le développement de l’enfant de maintenir un lien avec son parent incarcéré ainsi que le fait qu’une prison n’est pas un milieu favorable pour permettre le maintien de ce lien. Dès lors, elle demande au gouvernement fédéral de réfléchir à une réforme du système pénitentiaire dans laquelle on mettrait tout en œuvre pour que ces visites soient le plus respectueuses possible, d’une part du bien-être et du développement de l’enfant, mais aussi d’autre part du droit d’être parent et de participer à l’éducation et à la vie de son enfant malgré un séjour en prison.