15/10
2015
par la rédaction

Une pièce de théâtre pour témoigner de son quotidien

Martine a entamé l’écriture d’une pièce de théâtre sur les difficultés que soulève le fait d’être en règlement collectif de dettes et de devoir s’en remettre à un médiateur de dettes avec lequel on ne s’entend pas forcément. Le tout de manière ironique et un brin sarcastique. Pour preuve, cette illustration réalisée par son fils, Alexandre Gérard, mettant en scène le cauchemar de Mme Dupuit, aux prises avec un médiateur de dettes impitoyable venu trancher la tête de son chien pour réduire les charges du ménage. Voici l’intégralité de la scène.

Premier tableau

Salle d’attente d’un avocat, luxueuse et froide. Maison de maître, boiseries imposantes, escaliers impressionnants.

Une dame est assise sur le bord de sa chaise, elle attend que Maître Bilboquet la reçoive dans son bureau. Visage inquiet, soucieux. Elle monologue.

Madame Dupuit : Règlement collectif de dettes, ça y est, c’est pour aujourd’hui. J’ai vraiment pas de bol, plus de boulot et tous ces remboursements. La solution de la dernière chance, qu’ils ont dit. Plus le choix.

Elle se lève, tourne en rond

Mme Dupuit : Voilà, j’y suis, mon avenir est entre ses mains, à ce Maître Bilboquet que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam. Une marionnette, voilà ce que je suis devenue, et c’est lui qui va tirer les fils.

Elle mime la marionnette, Maître Bilboquet entre dans son dos et la regarde, la prend pour une folle.

Le Maître : Par ici, s’il vous plaît.

Ils entrent dans le bureau.

Le Maître : Asseyez-vous, madame…

Madame Dupuit : (d’une toute petite voix) Dupuit

Le maître : Pardon ?

Madame Dupuit (elle répète un peu plus fort) : Dupuit

Le maître (supérieur, prétentieux) : Je suppose que vous savez pourquoi vous êtes ici en ce moment?

Madame Dupuit (toujours bas) : oui…

Le Maître : pour que je vous trouve une solution pour que vous puissiez rembourser vos dettes, (ironique) tout en gardant une vie digne, bien sûr… Vous comprenez ?

Madame Dupuit, toujours aussi coincée, fait oui de la tête. Elle se redresse un peu pour se donner de la contenance

Le Maître : Il s’agit donc de définir votre budget, vous savez ce que c’est, un budget ?

Madame Dupuit le fusille du regard, puis, soumise : oui, oui, bien sûr…

Le Maître : Alors, soyons concrets. Tout d’abord, vos revenus, c’est la base d’un budget, ce que vous gagnez, je veux dire ? Quels sont vos rentrées mensuelles ?

Madame Dupuit : même jeu, oui, oui, j’avais compris. Je touche 1100 euros de la mutuelle, chaque mois.

Maître Dupuis : Et ensuite ?

Madame Dupuit fait un geste d’impuissance

Le Maître : Quoi ? C’est tout ? Et vous avez accumulé toutes ces dettes ! Bon, voyons vos dépenses. Votre loyer ?

Madame Dupuit : (on l’entend à peine) 650…

Le Maître, autoritaire : Pardon ?

Madame Dupuis, plus fort : 650 euros

Le Maître : et ensuite ?

Madame Dupuit : Il y a la facture de gaz et d’électricité (elle fouille son sac et la lui tend) : 81€ par mois, 23€ d’assurance (elle tend également le papier) et 65€ pour la télévision, l’internet et le téléphone (troisième facture).

La Maître, imperturbable (Il déchire la facture n°3) : Je pense qu’il va falloir vous passer de votre abonnement de télévision, du téléphone et d’internet. Il faut au moins diminuer vos frais de 70€.

Madame Dupuit (choquée, s’énerve un peu) : Mais on m’avait promis que je pourrais continuer à vivre correctement, dignement, c’était écrit dans les papiers du service …

La Maître (d’un ton qu’on ne discute pas) : Madame, je ne sais pas faire de miracles et je ne suis pas responsable de votre situation. Vous devez comprendre que vous devez avant tout rembourser vos dettes, n’oubliez pas que vous êtes maintenant en règlement collectif de dettes. Ces 70€ je les garderai pour vos remboursements, et il y a aussi mes honoraires, vous comprenez que je ne peux pas faire cela gratuitement, où irions-nous ?

Elle regarde autour d’elle et évalue la richesse qui l’entoure

Madame Dupuit (avec un air digne) : non, bien sûr. (essaye de se fâcher) Cela veut dire qu’il me reste environ 280€ pour le docteur, la pharmacie, mes transports, ma nourriture et celle de mon chien !

Le Maître : parce qu’en plus, vous vous permettez d’avoir un chien !

Madame Dupuit (à nouveau tout bas) : C’est un vieux chien, vous savez…

Le Maître : En voilà assez, ne me faites pas perdre mon temps, il est précieux, je vous mets tout ça par écrit et je vous l’envoie. Au revoir, Madame.

Il lui indique la porte, elle sort.

Madame Dupuit (Elle bouillonne. Et ronchonne): 10 euros par jour, il appelle ça de la dignité, il s’en moque, de toute manière. Je me demande à combien d’euros on calcule son « précieux temps » !

Elle fouille son sac, en sort un médicament et une petite bouteille d’eau et sort en avalant la comprimé.

Second tableau

Madame Dupuit se jette sur son lit, en colère, elle avale un deuxième comprimé, puis on voit qu’elle s’endort. Elle rêve (son rêve se déroule à côté d’elle). Dans la salle d’attente.

Maître Bilboquet : Bernier, je viens de recevoir Madame Dupuit, « Dupuit sans fond », sans mauvais jeu de mots. Vous avez vu son dossier ? Il faut être tout à fait inconscient pour en arriver là ! Donc, pas de sentiments, Bernier (Bernier, qui jusque-là semblait bonhomme, se raidit, comme au garde à vous). Prenez une paire de ciseaux, ou non, prenez plutôt la grande cisaille de jardin, dans le coffre et rendez-vous chez elle. Vous sectionnerez les câbles de la TV, du téléphone, et surtout d’internet. On va lui faire comprendre ce que ça veut dire rembourrer ses dettes.

Bernier : Maitre, nous ne pouvons tout de même pas …

Le Maître : Ah non ? Ce n’est pas comme ça que vous arriverez à remettre ces gaspilleurs dans le droit chemin !

Bernier : Mais Maître ?

Le Maître : Bernier, vous êtes ici pour apprendre le métier, et moi je le connais. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez toujours changer de voie, je ne vous retiens pas. (Il rentre dans son bureau).

Bernier sort, résigné, puis repasse avec la cisaille.

Troisième tableau

Bernier sonne chez Madame Dupuit, toujours dans son rêve, elle se redresse, elle joue la scène comme une somnambule.

Madame Dupuit : Maître Bernier, bonjour, il ne fallait pas vous déplacer, je pouvais attendre la poste, enfin, vous venez peut-être m’annoncer que Maître Bilboquet a revu ses calculs ?

Bernier (se donne un air sévère) : Pas vraiment, Madame, bien au contraire, dirais-je. Maître Bilboquet ne change jamais d’avis et il est clair que, dans votre cas, il reste sur ses positions. Il compte bien que vous remboursiez vous dettes et il fera tout pour ça, c’est de son devoir, dirais-je. Pourriez-vous me montrer si vous avez bien débranché vos connections ? (Il l’écarte, cherche et vérifie). Il vous avait bien demandé pourtant (Il sort la cisaille de derrière son dos) …

Madame Dupuit : (Elle s’affole) Qu’est-ce que vous allez faire ?

Bernier : (en la menaçant de sa cisaille) Employer les grands moyens, dirais-je ! (Il coupe un câble) Et couic, voilà 70€ de dégagés pour le remboursement de vos dettes, dirais-je.

Madame Dupuit : Je vous interdis ! (puis elle s’effondre) Je vous en supplie, c’est ma seule façon de m’occuper et de ne pas trop penser à ma situation… (elle le retient par son veston) Par pitié … (Il coupe tous les câbles)

Madame Dupuit : Maître Bernier, je vous croyais plus gentil. Vous, vous aviez l’air d’avoir pitié, vous…

Bernier : (Hésite un peu de compassion puis se raidit encore plus.) J’espère que vous avez compris que la loi ne plaisante pas avec les dettes, et Maître Bilboquet encore moins, dirais-je (il lui agite la cisaille sous le nez). Rembourser, Madame, rembourser ! Pensez-y, puisque vous n’avez plus de quoi vous distraire !

Il sort, raide. Une fois passée la porte, il se retourne, regrette, fait mine de faire demi-tour puis s’en va abattu.

Madame Dupuit, en colère se jette sur le téléphone, compose agressivement un numéro, place le cornet à son oreille, puis ramasse le fil coupé et jette l’appareil contre le mur.

Bernier entre à nouveau, une tronçonneuse en mains.

Bernier : Bon travail, qu’il m’a dit, mais il faut frapper fort et tout de suite, le chien maintenant.

Bernier appelle : Milou, Milou, viens ici le chien, allez Médor, viens chercher un « susucre » …

Madame Dupuit sourit dans son rêve.

Bernier : couper la tête du chien, il a facile à dire, il faut encore qu’il se montre. Et ne me parlez pas de votre conscience, qu’il m’a dit … ça lui fera des économies ! (Il regarde dans la pièce d’à côté) Ah, il est là.

Il met la tronçonneuse en marche, le bruit réveille Madame Dupuit. Elle se précipite, il sort vers la pièce où se trouve le chien. Elle hurle.

Madame Dupuit : Non ! Non ! Pas ça ! Il faudra me passer sur le corps ! (Elle se réveille … revient à la réalité…) C’est trop affreux.

Elle sort, désespérée, vers la pièce où se trouve le chien, on l’entend lui faire des câlins.

Puis elle revient avec un verre d’eau et un comprimé, qu’elle avaler et se recouche. On voit qu’elle n’a rien à faire, elle rumine, elle s’ennuie, …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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