Vivre à Bruxelles pour mieux se ruiner. Taux d’effort excessif, de quoi es-tu le symptôme ?
Les Bruxellois consacrent en moyenne 34.4% de leurs revenus au logement[1] et en Belgique, le taux d’effort excessif des ménages a augmenté de +0.3% entre 2007 et 2014[2]. Des chiffres qui ne sont pas sans conséquence sur la qualité de vie des habitants de la capitale.
La problématique du logement à Bruxelles fait souvent parler d’elle : en effet, d’après la FEANTSA, Bruxelles est classée à la 36è place des villes les plus chères en Europe, et le prix du mètre carré y est de 11,90 €/m2/mois[3]. Dans une capitale dont 60 % des habitants sont locataires, Agathe, assistante sociale dans un service du personnel d’une commune bruxelloise, rencontre au quotidien des personnes qui viennent la voir pour différentes demandes. Au final, nous dit-elle, toutes les demandes ont un lien direct avec une trop grosse part du revenu passant dans le loyer.
Le baromètre pauvreté 2017 de l’Observatoire bruxellois de la santé et du social est clair : les loyers ont augmenté de 22% sur 8 ans à Bruxelles, et le prix de vente médian d’un bien a pour sa part augmenté de 34 % en dix ans[4]. En parallèle à ces évolutions des coûts liés à l’habitation, les revenus ne sont pas revus à la hausse et la loi sur l’encadrement des loyers n’est toujours pas à l’agenda politique.
Bruxelles est classée à la 36è place des villes les plus chères en Europe
Pourquoi Bruxelles ?
Selon Mathieu Van Criekingen dans la revue scientifique électronique pour les recherches sur Bruxelles, l’augmentation des loyers à Bruxelles trouve son origine dans l’investissement de quartiers plus populaires par les jeunes adultes âgés de 25 à 35 ans ainsi qu’un embourgeoisement des quartiers avec la venue de ménages aisés voir très aisés insérés dans les fonctions internationales de la ville, européennes ou autres. Effectivement, les ménages plus aisés quittent le centre-ville mais restent au sein de la grande ville pour jouir des commodités qu’elle peut offrir. Restent donc les ménages plus précaires dans les communes du centre-ville. Dans les débuts des années 90, le pouvoir public porte une nouvelle attention sur un projet politique de « revitalisation » des espaces. Les jeunes adultes, étudiants et travailleurs issus de familles plus aisées, investissent les quartiers plus précaires, relançant le marché du logement. Mais ces jeunes adultes ne restent pas indéfiniment. On remarque alors une augmentation de la demande de logements au centre de la ville, ce qui amène un marché intéressant pour les entreprises privées.
Le problème lié au logement concerne plus la capitale que les autres régions car il y a un plus grand nombre de locataires : 32% en Wallonie et 27% en Flandre contre 60% à Bruxelles[5]. De plus, la capitale belge est une petite zone dans laquelle habite beaucoup de monde. En effet, il y a un flux migratoire interne, de nombreuses personnes travaillent dans la capitale, c’est pourquoi elles s’y installent afin d’être proche de leur travail. En outre, les allocataires d’aide sociale (bénéficiaires du Rrevenu d’intégration sociale ou du chômage) sont amenés à se déplacer vers la ville car elle offre plus d’emplois. Ces personnes rencontrent des difficultés à trouver un habitat et le montant de leur aide sociale n’est pas proportionnel au montant de leur loyer. Il ne faut pas oublier que Bruxelles est la capitale de la Belgique et comme toutes les capitales, elle se veut attractive et compétitive d’un point de vue touristique.
L’augmentation des loyers, quelles conséquences sur la qualité de vie?
Le logement est aujourd’hui la première source de dépenses des ménages européens : il n’en a pas toujours été ainsi. En parallèle, la tendance actuelle est à l’augmentation des dépenses dites “contraintes”, qu’il faut comprendre comme étant les charges financières obligées des ménages (électricité, eau, gaz, assurances, loyers, emprunts,…) ; avec une conséquence directe sur le pouvoir d’achat. Le logement, créateur d’inégalités sociales ? Oui, confirme Régis Bigot, docteur en économie, puisque l’augmentation des dépenses allouées à mettre un toit au dessus de sa tête pèse plus dans le budget des ménages à faibles revenus[6].
Privilégier un loyer moins onéreux, mais à quel coût ? Bien souvent, les habitants de logements peu coûteux, et donc accessibles, ont une facture énergétique plus élevée. Agathe, notre assistante sociale, nous révèle que de nombreuses personnes dont les revenus sont trop faibles ou le loyer trop conséquent font des compromis qui ont une incidence directe sur leur santé, comme arrêter de se chauffer ou habiter un logement de moins bonne qualité en termes d’isolation, d’humidité. Le Baromètre social 2017 vient confirmer cette expertise de terrain : approximativement 22% des ménages de la capitale relèvent a minima l’une des problématiques suivantes concernant leur logement : présence de moisissures, impossibilité de chauffer correctement le domicile, présence d’humidité ou surpeuplement. Enfin, parmi les foyers les plus précarisés, le taux de personnes relevant ces mêmes problématiques grimpe à 35%.[7]
58% en plus d’inscriptions pour un logement social
Il n’est plus un secret pour personne qu’à Bruxelles, l’accès au logement social est éminemment complexe. Le temps d’attente pour en bénéficier est d’en moyenne 10 ans : une augmentation de 58% du nombre de candidats au logement social a en outre été constatée sur la dernière décennie. Les ménages bruxellois n’ont donc d’autre choix que de se tourner vers le parc locatif privé, et celui-ci est difficile d’accès en termes de coûts. On considère théoriquement qu’un ménage ne devrait pas dépenser plus de 30% de ses revenus, charges comprises, dans son logement : si cette règle devait être respectée à la lettre, 60% des bruxellois n’auraient accès qu’à 8% des logements disponibles[8]. Cette part de dépense excessive dans le logement se rencontre d’autant plus que les revenus des personnes sont faibles ; et désormais, une personne sur trois à Bruxelles vit avec un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté[9]. “C’est-à-dire que lorsque ces personnes trouvent un logement, ils le gardent même si le loyer est trop élevé. Il ne leur reste souvent que 300 à 400 € pour vivre après avoir payé le loyer, les factures, …” nous explique Agathe.
Malgré un large programme de relance des logements sociaux annoncé en 2005 par la Région bruxelloise, et un deuxième annoncé en 2013, rien n’avance vraiment à hauteur des besoins actuels de la population : à peine 110 nouveaux logements en moyenne par an, alors que la demande éclate.
La discrimination au logement
En matière d’accès au logement, on constate une forte discrimination liée en premier plan à la fortune, puis à l’origine, avance le RBDH : la même malheureuse tendance que pour l’accès à l’emploi. Les premières victimes en matière d’origine le sont parfois simplement à cause de leur patronyme.
Les personnes les plus touchées sont originaires des pays du Maghreb, des pays d’Afrique subsaharienne et de Turquie. Cependant les bailleurs connaissent la loi, c’est pourquoi ils utilisent des tactiques discriminatoires plus subtiles que dans le passé. Par contre, lorsqu’il s’agit d’exclusion basée sur le revenu, les propriétaires n’y vont pas de main morte. En effet, les locataires qui ont des faibles revenus représenteraient le risque de ne pas pouvoir assumer leur loyer. En ce qui concerne les bénéficiaires d’une aide sociale (chômage, indemnité mutuelle, revenu d’intégration sociale,…), ils sont également pris pour cible. Ils sont automatiquement perçus comme des mauvais payeurs[10].
Un lien peut être établi entre les personnes ayant des faibles revenus et l’origine. Dans beaucoup de cas les personnes issues d’origines étrangères bénéficient d’aide sociale ou dépendent du chômage : niveau de qualification inadéquat au marché de l’emploi, non-équivalence ou non-reconnaissance des diplômes étrangers, difficultés liées à la langue, discrimination à l’emploi en sont quelques causes avancées par les chercheurs Lafleur et Marfouk dans leur récent ouvrage “Pourquoi l’immigration ?”. Lorsque l’origine et les revenus modestes se combinent, ils forment un double motif d’exclusion au logement. Pourtant, il existe une loi qui interdit la discrimination basée sur l’origine, la couleur de peau, le sexe,… Mais dans la réalité, peu de personnes sont sanctionnées pour ces faits en Belgique car les pratiques discriminatoires restent difficiles à prouver. De plus, dans certains cas, les agences immobilières travaillent au service des clients et généralement elles ne vont pas à l’encontre de ceux-ci, elles appliquent leurs demandes.
Lorsque l’origine et les revenus modestes se combinent, ils forment un double motif d’exclusion au logement.
Afin de pallier à cette difficulté, un outil a été mis place : le testing. Deux candidats au profil semblable répondent à une annonce de logement, l’un d’entre eux porte un nom à consonance étrangère. Le candidat qui a un nom étranger rencontre immédiatement des obstacles puisqu’il ne pourra même pas visiter les lieux. Le testing démontre bien qu’il existe une discrimination au logement, mais cette méthode n’est pas utilisée en Belgique car les partis de droite ainsi que les organisations des propriétaires s’y opposent. Assez paradoxalement, cette technique a été adoptée très récemment par le gouvernement bruxellois pour le secteur de l’emploi à Bruxelles, suite à une proposition de l’opposition à travers le groupe Ecolo-Groen. Il y a alors lieu de se demander : pourquoi uniquement instaurer cet outil dans un secteur et pas l’autre ?
32 mesures pour le secteur du logement
Le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’habitat (RBDH) s’est intéressé de près, dans son «Baromètre du logement », aux 32 mesures prises par le gouvernement bruxellois pour le secteur du logement. Toutes ces décisions sont jugées en terme d’utilité et d’adéquation aux exigences de justice sociale.
Dans son bilan, le RBDH reconnaît que certaines mesures sont favorables à la problématique du logement bruxellois, mais il émet également des critiques et voit même un danger en ce qui concerne d’autres projets. Par exemple, le gouvernement veut agir sur le coût du logement, d’une part par la création d’une grille comme outil de référence et, d’autre part, par l’amélioration de l’accès à l’allocation-loyer destinée aux personnes en attente d’un logement social.
Pour la grille indicative des loyers, le Rassemblement Bruxellois parle franchement de risque d’effets pervers. En Région de Bruxelles-Capitale, cette grille a récemment été mise en place pour donner à chaque citoyen l’accès aux informations concernant les loyers théoriquement applicables aux logements de la capitale : nous avons expérimenté l’outil. Selon logement.brussels, pour un appartement d’une chambre avec une surface habitable de 75m², dont la construction est antérieure à 2000, muni d’un chauffage central, d’une régulation thermique, de double vitrage et d’un espace de rangement, dont le niveau PEB est de C, situé à la barrière de Saint-Gilles, le loyer indicatif de référence se situe entre 688€ et 830,50€. Cet outil reflète-t-il la réalité ? Et au-delà de l’information à laquelle on peut désormais accéder, l’objectif est-il d’impacter positivement le coût du logement dans la capitale ? Le RBDH en doute et craint que la mesure n’ait l’effet inverse : pousser les bailleurs à augmenter certains loyers pour s’aligner sur la grille indicative, qui se base sur les loyers médians[11] actuellement en vigueur. C’est en cela que le RBDH appréhende des effets pervers, il y a peu de chance que la grille donne un pouvoir de négociation supplémentaire aux locataires. Par conséquent, la grille indicative des loyers est jugée inutile et inadéquate.
En ce qui concerne l’accès à l’allocation-loyer destinée aux personnes en attente d’un logement social, l’État veut renforcer cette mesure pansement qui existe depuis 2014. Elle consiste à aider les personnes qui n’ont pas accès à un logement social à cause du manque de place par une allocation. Même si le RBDH propose des améliorations au projet, il le juge utile et adéquat.
Au sujet d’autres mesures, le Rassemblement ne donne pas un avis aussi tranché. C’est le cas pour la loi sur le bail étudiant. La loi protège davantage le locataire étudiant puisque le bailleur ne peut rompre le contrat et elle s’ajuste davantage aux besoins du public grâce à un régime plus souple. Si, par exemple, il échoue dans sa scolarité, l’étudiant pourra dorénavant mettre fin au contrat. Néanmoins, il devra payer une indemnité au bailleur. Ce dernier dispositif n’est pas nécessaire et pénalise l’étudiant, d’après les évaluateurs. Parmi les autres inconvénients, il y a le fait que les étudiants n’ont toujours pas la possibilité de sous-louer leur kot sans l’accord du bailleur. Ils risquent alors d’encourir une dépense inutile et importante pour leur loyer si, imaginons, ils sont à l’étranger dans le cadre de leurs études. De plus, l’encadrement du loyer et la garantie locative restent trop faibles et génèrent des incertitudes pour le RBDH. Compte tenu de toutes ces informations, le RBDH estime que les modifications apportées à la loi sont utiles mais il émet un avis nuancé par rapport à leur adéquation.
Le coût du logement ne fait qu’augmenter et la situation est de plus en plus critique pour les personnes ayant des faibles revenus, ainsi que pour la classe moyenne, qui tend à se précariser. L’accès à un logement social est un parcours semé d’embûches, l’attente est longue et les mesures mises en place par le gouvernement bruxellois sont trop timides par rapport aux besoins réels de la population. Le logement va-t-il enfin devenir une priorité politique en région bruxelloise ?
[2] FEANTSA. (2016). Palmarès européen du mal-logement : Belgique. http://www.feantsa.org/download/index_europeen_belgique-fr-dissemination1747924697907334400.pdf (consulté le 05/02/18)
[3] FEANTSA. (2016). Index Européen du Mal-Logement 2016 : Belgique. http://www.feantsa.org/download/belgium-fr7490942766802496660.pdf (consulté le 05/02/2018)
[4] BAROMETRE SOCIAL – rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2017. p56. http://www.ccc-ggc.irisnet.be/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre-welzijnsbarometer/barometre_social_2017_fr.pdf (consulté le 05/02/18)[5] BAROMETRE SOCIAL – rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2017. p50. http://www.ccc-ggc.irisnet.be/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre-welzijnsbarometer/barometre_social_2017_fr.pdf (consulté le 05/02/18)[6] Bigot, R. (2009). Le logement pèse de plus en plus dans le budget des ménages européens. Informations sociales, 155,(5), 14-23. https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2009-5-page-14.htm (consulté le 31/01/18)
[7] BAROMETRE SOCIAL RESUME – rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2017 http://www.ccc-ggc.irisnet.be/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre-welzijnsbarometer/barometre_social_2017-resume.pdf (30/01/18)
[8] Ibid.
[9] BAROMETRE SOCIAL RESUME – rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2017 http://www.ccc-ggc.irisnet.be/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre-welzijnsbarometer/barometre_social_2017-resume.pdf (30/01/18)
[10] Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat, Oser sanctionner la discrimination, Disponible sur : http://www.rbdh-bbrow.be/spip.php?article1855 (consulté le 28.01.18)
[11] Cette médiane signifie que statistiquement, la moitié des loyers y sont inférieurs et donc susceptibles d’être augmentés.